Viens la mort on va danser
presque
diffuse. De seconde en seconde elle disparaissait. « Patrick, arrête,
j'étouffe! » Je relâchai ma prise. L'air lentement reprenait ' vie dans mon
corps. Je me mis à rire de toutes mes forces.
DEUXIÈME PARTIE
I
DES IMAGES PAR MILLIERS
Après la Chine, il y eut
le tour du monde pour me refaire une beauté, oublier cette vieille nuit obsessionnelle
peuplée de médecins guérisseurs et me laver définitivement des illusions, des faux-semblants,
des espoirs inutiles. J'ai désormais le droit de vivre, de communiquer, d'aimer
avec ou sans mon corps. Et qu'importe si la mort est en avance, le temps qui me
sépare d'elle m'appartient et je veux le combler à ma convenance, hors du
carcan médical, ni en enfer, ni en paradis, ni malade, ni guéri, simplement en
état de communion avec ceux que j'aime.
Arrivé
à Paris en janvier 1976, après ce long voyage plein de couleurs et de
rencontres, je n'ai sorti de mon sac que mon blouson, laissant dans l'obscurité
mes vêtements usés de bourlingueur. Je garde précieusement dans ma poche une
lettre reçue en Amérique du Sud, lue et relue, toute froissée. Ces quelques
mots griffonnés seront la clef de ma vie nouvelle : « Dès votre retour prenez
contact avec l'agence de photos Sipa; nous sommes intéressés par le récit de
votre tour du monde. »
Mon
récit, ce sont des centaines de photos, mes photos de Chine, du Viêt-Nam,
d'Amazonie, d'Amérique... moins celles dé l'Indonésie que je ne retrouverai
jamais, oubliées quelque part sur le buffet d'un gardien d'immeuble. J'écris
donc à l'agence pour prendre rendez-vous avec l'un de ses reporters qui m'avait
contacté au Venezuela, et la réponse arrive très vite.
Thierry,
qui fait partie de l'équipe des photographes, vient me rendre visite dans mon
appartement-placard.
«
Le directeur veut te voir. Tu sais, c'est un coup formidable, nous pouvons te
distribuer dans trente-cinq pays du monde ! »
Soufflé
par une telle proposition, je regarde Thierry et ses grosses moustaches, mes
yeux grands ouverts. C'est comme si des milliers de portes s'ouvraient en même
temps.
«
Si tu veux, je t'emmène à l'agence; elle n'est pas loin d'ici. On te portera
dans l'escalier. »
J'enfourne
aussitôt mes diapos dans un sac, comme à l'époque où je faisais rouler mon fauteuil
de porte en porte avec mes premières photos de Chine. Nous arrivons à l'agence,
rue de Berri. Dans quelques instants, j'y côtoierai ceux qu'on appelle les
grands reporters et malgré moi, je me sens un peu honteux avec mon sac et mes diapos.
En
ouvrant la porte, c'est comme un immense râle, des cris, des gens qui courent,
des visages fatigués qui se regardent à peine.
«
Ça fait une heure que j'ai demandé les négas d'Elisabeth Taylor. Loulou, c'est
prêt l'enveloppe pour l'Allemagne ?»
Quelle
atmosphère après ma chambre qui sent la salle des ventes ! Je me fraie un
passage dans le couloir encombré de boîtes de carton.
«
Mimi, téléphone! C'est ton fiancé, ma- gne-toi !»
Un
moustachu petit format me regarde; sur son visage on lit les nuits de veille,
les planques, la course pour attraper un avion et faire le scoop.
L'homme
qui m'accueille est très grand : cheveux grisonnants tombant sur les épaules,
nez en bec d'aigle. On l'appelle le « Turc » mais son vrai nom est Gôgshin
Sipahoglu, grand reporter en Turquie, auteur de nombreux scoops et, depuis sept ans, patron de l'agence Sipa.
«
C'est toi, Segal ? me dit-il avec un fort accent anglais. Ton histoire est
extraordinaire ! Thierry, il faut que tu « s'occupes » de lui. Fais classer ses
photos et prends ce qu'il y a de mieux. Est-ce qu'il y a dès photos de toi en
Chine, en Amérique du Sud? C'est ça qu'ils veulent, les magazines. »
Tandis
que Thierry classe les photos, dans ma tête des images se sont mises à danser,
à claquer comme une voile. Me revoici en cavale, mon tour du monde recommence,
la nuit est loin derrière moi. Je vais devenir reporter comme Raymond Depardon
et Roger Pic, ou comme Gilles Caron, disparu, Michel Laurent, mort dans une
banlieue de Saigon le dernier jour de la guerre du Viêt- Nam.
Le
Turc regarde maintenant les planches photos. J'ai la frousse; j'aurais dû
m'appliquer davantage en shootant.
«
C'est bon ce que tu as fait là; on va sortir ça bientôt. Tu écris aussi ?
-
Je viens de terminer mes notes de voyage et en plus j'ai un manuscrit que
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