Viens la mort on va danser
quand? »
Je
dis cela froidement tandis que j'aurais pu crier : « Je ne comprends pas ce
dont vous voulez parler, j'avais l'assurance des médecins de faire un
traitement long et méthodique! » Je me calai dans mon fauteuil et me mis à
rêver. « J'aurais tellement voulu leur prouver qu'ils avaient raison, que la
sève coulait encore en moi, même si l'arbre était mort. Vous ne parliez pas ma
langue et, pourtant, nous nous comprenions. Cela je ne l'oublierai jamais. Je
vais rentrer chez moi à présent... »
J'étais
dans ma chambre, couché sur le dos. J'attendais le soir. M'était un peu
assoupi, mes pensées étaient engourdies. Mo» corps inerte semblait ligoté au
matelas par des chaînes de plomb. Lorsque l'heure du repas fut venue, je ne
sais quelle pensée folle — folle d'amitié et de reconnaissance — me donna
l'idée d'offrir un cadeau à mes amis chinois. Je décidai de pénétrer debout
dans la grande salle à manger.
Après
avoir verrouillé les attelles, je pris appui sur les dossiers de deux chaises
qui me servaient ainsi de mini-barres parallèles. Je me levai lentement pour ne
pas créer une trop forte dépression respiratoire quand les viscères, en
descendant, aspireraient le diaphragme.
Mon
plan était bien établi. Sortir de la chambre (les gestes à accomplir : poser,
la main sur la poignée, se reculer et s'engouffrer dans l'étroit passage sans
perdre l'équilibre). Emprunter le couloir recouvert de moquette rouge. Prendre
l'ascenseur jusqu'au sixième étage. Un dernier couloir mène jusqu'à la grande salle.
Lâchant
le dossier du fauteuil, je me retrouvai au milieu de la chambre, le corps en équilibre.
L'oiseau bondissait de perchoir en perchoir. Il semblait ne pas vouloir en
perdre une miette.
Arrivé
contre la porte, mes épaules et mon cou tremblaient. J'enfonçai la porte plus
que je ne l'ouvris et me retrouvai dans le couloir. L'oiseau me lança quelques
mots que j'entendis à peine; un courant d'air fit claquer la porte derrière
moi. Je regardai le long couloir que j'avais à traverser, calmai ma respiration
et, d'un mouvement pendulaire, lançai mes jambes. Mes mouvements étaient
réguliers et sans heurts. J'atteignis sans difficulté le bout du couloir. En me
voyant, la camarade préposée à l'ascenseur étouffa un cri. Mon aspect devait
être fantastique. Mes cheveux ébouriffés par le ventilateur du plafond
naviguaient dans tous les sens.
Au
sixième étage, je découvris avec terreur que la moquette cédait la place à un
carrelage glissant.
Vingt
mètres, me séparaient encore de la grande salle. J'aurais voulu appeler. Que
quelqu'un me soutienne. Je progressais avec lenteur. Tout mon corps semblait se
nouer à chaque balancement et se dénouer, puis, à nouveau, un autre balancement...
à la limite du possible. Enfin j'entrai.
En
pénétrant dans cette salle immense, j'entendis les bruits habituels de
vaisselle, les murmures feutrés, les rires, puis un visage se tourna vers la
porte, et tous me regardèrent. Un silence pathétique se plaqua contre ma peau
couverte de sueur. Un instant, je crus entendre l'oiseau, quelques étages
au-dessous, qui me criait des mots d'encouragement. De la cuisine, de la
caisse, de la plonge, quittant les tables, de partout je les vis arriver, comme
une marée. Ils m'entourèrent et se mirent à applaudir. La salle résonna de leurs
cris, fut traversée par leurs rires. Je me tenais au milieu d'eux, fier comme
un chevalier en armure. La joie me faisait divaguer; je me laissai choir sur
une -chaise.
Je
mis plusieurs minutes à retrouver mon souffle. Je me disais, regardant autour
de moi les yeux complices de mes amis chinois : « Je voudrais renouveler un
instant pareil pour vous récompenser de vos efforts, de votre confiance. » Les
mots que Bernard Stasi m'avait dits un jour jaillissaient en moi comme une
certitude : « Tu fais la route pour nous, et nous marcherons derrière toi vers
des étoiles inconnues. »
Quand
je repris ma valise, elle était "légère, comme si par un tour
d'illusionniste l'homme coupé en morceaux s'était reconstitué et s'était évadé.
Je regardai Rouge-Neige dans sa cage. Je lui prêtai l'oreille. Il me regardait
de son petit œil rond mais ne chantait pas.
«
Voilà, lui dis-je, nous sommes au début d'un long voyage.»
Il
ne bougeait plus, mais je le connaissais, il allait d'un seul coup sauter sur
ses pattes et regagner sa balançoire en osier.
«
Allez, l'oiseau, ne fais pas la
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