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Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Segal
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j'ai
écrit en 1972 à l'hôpital.
    -
Tu vas le publier ?
    -
Je ne sais pas; je viens d'arriver à Paris après un an et demi de bourlingue.
    -
Thierry, dis à-Madeleine qu'elle me prépare un contrat. »
    Ça
y est ! J'y suis ! La tête me tourne; j'aimerais me cacher pour sourire et
rire, et pourtant j'ai encore une chose à demander.
    «
Monsieur Sipahoglu, pourrai-je faire des reportages pour vous ?
    -
Si tu as un bon sujet, tu le fais, mais tu paies tes frais et tes films. Seuls
les photographes de staff ont leurs frais
pris en charge pour moitié.
    Ne
vous inquiétez pas, je me débrouillerai. »
    Madeleine
est revenue avec le contrat : 50 p. 100 pour l'agence, 50 p. 100 pour moi.
    En
rentrant chez moi, je tapais dans mes mains, je cognais contre les portes en
criant : « J'ai trouvé du boulot, du boulot! Je suis reporter! Dans une grande
agence ! » Si j'avais eu le téléphone, j'aurais appelé tout le monde...
Au fait, où étaient-ils ceux qui m'avaient dit adieu avant le long voyage ? Ils
ne m'avaient pas écrit, bien sûr; ils pensaient que le courrier ne parvenait
pas jusqu’'en Chine ou bien que le facteur n'allait pas en pirogue sur les
bords de l'Amazone. Seul Bernard Stasi, le frère spirituel, connaissait le
chemin qui mène à la Grande Muraille, au fleuve Rouge constellé d'orchidées
avec ses boîtes aux lettres souvent découpées dans de vieux bidons d'huile.
    Je
descends au café du coin; ça sent l'œuf dur et le beaujolais. Dans la sciure du
comptoir mes roues Ont tracé deux routes parallèles, comme l'empreinte de ma
vie. Dans la cabine téléphonique, Un homme mal rasé parle en espagnol; je lui
souris lorsqu'il sort. Il me jette un regard un peu triste, comme s'il pensait
: « Toi, tu es un émigré, comme moi, moins chanceux encore, aussi bas dans
l'échelle sociale et sur le même barreau, mais sur un barreau brisé. »
J'appelle Laurence, le seul être que je connaisse encore, avec qui je vivais
avant la Chine et le tour du monde.
    «
Allô, Laurence... c'est moi !
    -
Qui, moi? Qui êtes-vous?
    -
Patrick.
    -
Patrick ! Mais où es-tu ?
    -
Dans un café.
    -
A Paris ?
    -
Oui!...
    -
Mais je croyais que tu habitais à Caracas. J'ai souvent demandé de tes
nouvelles... on m'a laissé entendre que tu avais pris la nationalité
vénézuélienne et que tu vivais avec...
    -
Laurence, viens me retrouver; j'habite à la porte de Champerret. Enfin, j'y ai
déposé mon sac. »
    Dans
la rue, je me suis senti plus seul encore et désespéré, comme si j'étais en retard
sur le temps, comme si ces quelques mots avec Laurence m'avaient soudainement
plongé et noyé dans le passé à la rencontre de nos sourires, de nos mains qui
se cherchaient, de nos deux corps qui se serraient si fort que nulle ombre
n'aurait pu passer-
    Mais
avec mon ombre je suis rentré. J'ai salué à nouveau la statue de Simon Bolivar.
« Un jour je te porterai sur mon dos et nous irons vers le grand fleuve, le
père des nos. Tu reverras l'Eldorado, la forêt constellée de fleurs
d'orchidées, et le rapide du Caroni qui se fracasse à Canaïma dans la chute du
crapaud. Et nous en sommes là, toi et moi, toi qui sers de support aux pigeons,
et moi quêtant les miettes, battant de l'aile aux portes des agences et des
journaux. »
     
     
    *
     
     
    Les
jours ont passé dans tria chambre-placard où la nuit à l'odeur de naphtaline se
peuplait de rêves étranges. le me voyais couvrir une guerre et courais après
elle avec mes boîtiers, mes pellicules; parfois c'était un athlète dont je
fixais l'image. Tout cela entre mes quatre murs couleur d'ennui, qui se
rapprochaient de plus en plus. Chaque fois que je me réveillais, je décidais de
réveiller aussi ma rage de vivre et la bonne conscience endormie des gens :
ceux qui regardaient passer, sans s'arrêter, mon attelage et mes photos de Chine,
ceux qui disaient qu'avec mon diplôme de kinésithérapeute je ne trouverais
guère de travail, ceux qui referment à la hâte une porte de tombeau sur les tordus,
lés bancals, les invalides à cent pour cent.
    Entre
deux vagues j'allais à l'agence Sipa m'imprégner d'aventures. Je fis la connaissance
d'Alex et de ses yeux bleus. Alex était cycliste et décida un jour de sauter le
pas et de devenir un « chevalier de la plaque sensible » comme il se plaisait à
dire. Thierry était mon imprésario. Le beau Francis lui-même — le chasseur de
célébrités, tellement redouté pour son mauvais caractère — me

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