Viens la mort on va danser
un
personnage de conte : « Dans le sous-sol vit un passager clandestin! »
*
Le laissez-passer à la main; nous attendons
à l'entrée du village olympique. La fouille est longue et l'atmosphère tendue.
Chacun redoute la fusillade de Munich.
Pendant la conférence de presse tenue par
la police, celle-ci nous a demandé de bien vouloir nous plier à certaines
exigences, comme de démonter les téléobjectifs : des armes pourraient y être
cachées (certains téléobjectifs font 1,50 m). Il paraîtrait aussi qu'une
brigade de chiens a été spécialement entraînée à détecter les porteurs d'armes.
Par la porte à demi ouverte, j'aperçois des soldats en armes et quelques
athlètes échangeant des badges. Tout est encore calme. Les Jeux ne commenceront
que dans quelques jours.
Ce village olympique n'a pas été dessiné
pour moi : il y a des escaliers partout et l'ascenseur ne dessert pas tous les
niveaux. Je guette en bas des marches; je tourne en équilibre sur mes roues
arrière à la recherche d'éventuels porteurs. Quelques athlètes flânent entre
lés bâtiments, les mains derrière le dos. Qu'à cela ne tienne! J'en aperçois
un, je l'appelle. A son accent, il doit être de l'Est. Je le recrute. Un autre
passe, venant d'Afrique. Je le recrute. J'y ajoute deux autres flâneurs
d'autres nationalités et nous voilà au travail dans le grand escalier de bois.
Quatre porteurs, quatre pays, quatre langues !
Le soir même , l’ Associated Press me contacte. Un
photographe, à la recherche d'images, aurait fixé l'instant. Il désirerait savoir
qui je suis car il veut en faire la manchette des journaux : « Geste symbolique
de l'esprit olympique ! » Bien! Je ne suis pas passé inaperçu. Le Turc,
pourtant, aimerait bien recevoir lui aussi de telles images.
Je pars en quête de ces fameux chiens-détecteurs.
Je monte et descends les allées du village, en vain. Je m'infiltre dans la
chambre d'un athlète, je furète, je guette un aboiement : sur le lit un sac de
toile, sous le lit un animal en peluche. Je visite une autre chambre, je ne
sens aucun chien. Je sors dans le couloir et évite de justesse une équipe
italienne qui fait la chasse aux hôtesses. Je change de couloir : des Allemands
de l'Est qui se déplacent en formation serrée m'écrasent contre le mur.
Le soir, je sors mes premiers clichés de mes
deux petits boîtiers. Mes « semfléx à ressort », comme dit Alex. A la vue de
l'équipement de mes confrères il est vrai que je me sens un peu ridicule. Nick
et Hervé, de l'agence Sipa, sont arrivés aujourd'hui, bardés de matériel.
Et pourtant, comme Buster Keaton dans Le Cameraman, je suis là le jour
de l'ouverture des Jeux, trois heures en avance et scrutant la foule. Cent
cinquante mille personnes sont tassées sur les gradins; moi, au premier rang,
avec mon brassard de photographe.
La flamme est arrivée dans le stade, portée
par une jeune fille et un jeune homme. Hissés aux mâts, les drapeaux de tous
les pays flottent à tous les vents (mais gare aux vents de la politique qui
déchirent les drapeaux, ceux qui les portent, et hissent les têtes aux mâts).
La délégation libanaise défile avec une
grande banderole « Paix au Liban », les autres délégations se suivent sans
exciter particulièrement mon œil de photographe sauf... un petit chapeau rond
au milieu d'autres chapeaux ronds, celui de la princesse Anne qui sourit comme
une écolière.
Maintenant que les Jeux sont ouverts, il va
falloir se battre et, comme avec mon matériel je ne peux lutter à armes égales,
il faudra chercher le vent, un vent pour moi. '
Une lettre a été glissée sous la porte de
mon sous-sol. Je l'ouvre. Ma présence, m'y dit-on, a été remarquée au village
olympique (il est vrai qu'un reporter en fauteuil roulant ne peut pas passer
inaperçu) et je suis convoqué sous les projecteurs de la télévision. Il s'agit
d'une émission qui passe chaque jour entre 12 h et 12 h 30 sur le canal des
Jeux et capte donc l'attention de millions de téléspectateurs. Pierre Salinger
et le shah d'Iran étaient les invités d'hier. Mon Dieu! avec qui vais-je
partager le plateau ?
Dans le hall de Radio-Canada, je roule tranquillement
quand une hôtesse s'empare de moi et me traîne dans une sorte de loge où une
maquilleuse me poudre, peigne mes cheveux, me lustre sourcils et moustache,
puis me conduit face à un miroir : je m'y vois figé dans une sorte de masque.
Derrière moi Une forte
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