Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Segal
Vom Netzwerk:
siffler.
    J'assiste aux éliminatoires du 100 mètres
dans la catégorie des non-voyants. Ils sont" deux par course : les pieds
dans les starting-blocks, les yeux tournés vers le ciel. Au bout de la ligne leur entraîneur porte un
haut-parleur. C'est au son de sa voix qu'ils seront guidés. Le coup de feu part
: ils courent la tête en l'air, comme retenus par un fil de marionnette, ils
courent à une vitesse incroyable. Le vainqueur franchit la ligne en cassant le
buste sur le fil, sur le fil de voix du haut-parleur, établissant un temps de
11,5 secondes. Dans une série, l'un d'eux, pris d'angoisse une fraction de
seconde ou repris par la nuit, ou soûlé par sa propre peur, est sorti de sa
trajectoire. Il est venu percuter un fauteuil roulant au bord de la piste et
s'est blessé grièvement.
    Je passe la journée sur le stade
d'athlétisme où j'assiste aux finales du 100 mètres en fauteuil et du 100
mètres pour unijambistes et amputés -des deux jambes. Ces derniers courent sur
leurs prothèses. Ici l'on ne peut plus se contenter de regarder, on ne peut
plus que tordre son corps dans le même effort, courir après la même vie, avoir
le cœur qui s'affole, communier avec eux et ouvrir si grands les yeux que c'est
le cœur qui se met à voir. Dans l'une de ces courses, l'un d'eux courra à cloche-pied.
Il avait mis tout son argent dans le billet d'avion et
n'avait pu se payer une prothèse.
    Les épreuves du saut en hauteur, tant chez
les unijambistes que chez les non-voyants, seront les plus spectaculaires,
peut-être les plus passionnantes. A proximité de la barre, le non-voyant lève
la main avec précaution, la pose sur la barre, puis sur sa poitrine. Pendant
quelques minutes, il fait le va-et-vient entre sa poitrine et la barre afin de
bien apprendre la distance. Et puis il saute... un bond fantastique !
    « Le saut fantastique de l'unijambiste »,
titrera France-Soir au-dessus de la photo que j'ai prise d'Arnie Bold. Et cette légende à ce saut
légendaire : « C'est peut-être la performance la plus extraordinaire que l'on ait
vue au Canada en ces mois olympiques... » Il est vrai que la finale du saut en
hauteur pour unijambistes fut aussi passionnante, sinon plus, que celle où
Dwight Stones, le play-boy de Californie, perdit la médaille d'or. Ce jour-là,
dans le stade de Montréal, sous une pluie fine et glacée, nous étions restés
accrochés aux longues foulées des deux derniers concurrents. La barre était à
2,24 mètres. A Toronto, elle est à 1,70 mètre. Il pleut sans discontinuer sur
les trois athlètes qui restent en piste : un Indonésien, un Autrichien et un
grand Canadien de dix-huit ans, Arnie Bold, amputé depuis peu. Arnie laisse
sauter ses camarades et ne fait que s'échauffer.
    La barre est à 1,75 mètre. L'Autrichien, vainqueur
4ans le slalom aux Jeux olympiques de Suède, vient d'échouer malgré la
puissance de sa jambe unique.
    La barre est à 1,86 mètre. Arnie enlève ses
lunettes, secoue sa chevelure bouclée, sautille sur place, laisse tomber ses
béquilles puis, en quatre bonds, prend son appel et... je le prends au-dessus de
la barre, en plein vol, tel un oiseau; son bassin est au moins à 2,20 mètres
afin de compenser sa deuxième jambe qui devrait lui servir à s'enrouler autour
de la barre... Il retombe victorieux sur les cubes de mousse.

Je n'ai le temps ni de me reposer ni de manger.
Le soir, je fonce à l'aéroport pour faire partir mes bobines par fret aérien
puis je rentre sous les grands chapiteaux. Je regarde danser la foule des
compétiteurs. Les fauteuils tournent, balancent, virevoltent. Les cavaliers sur
leurs chaises font swinguer les jolies étudiantes venues se joindre au groupe.
Puis je rentre, quelques minutes plus tard, et me couche
épuisé d'avoir poussé ce fauteuil en plomb.
    Mon escarre est toujours aussi laide, mais
je tiendrai encore quelques jours avant d'aller me faire soigner. D'aller nous
réparer l'un et « l'autre ».
    Au tir à l'arc, épreuve réservée aux paraplégiques,
personne ne se parle. Chacun prépare ses flèches, ajuste la corde sur les
poupées, règle le balancier. Le bras se replie et tend sans lâcher les 45 ou 50
livres, puis lentement replace l'arc en fibre de verre sur son reposoir.
Personne ne parle mais un individu sanglote : un jeune Danois tétraplégique
c'est-à-dire paralysé aussi des membres supérieurs, essaie de Convaincre les
juges qu'il peut participer à la compétition. Il s'est entraîné pendant

Weitere Kostenlose Bücher