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Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Segal
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oreilles de Mike ne se sont pas refermées : il
redemande « du Comaneci »...
    Je reprends du poids sous le ciel de
Californie mais, peu à peu, cette vie commence à m'ennuyer; je me sens submergé
et coulé dans le dentifrice et le savon. Aussi, un jour, j'emprunte le camion
rouge de Mike et je pars pour San Francisco. C'est à Stinson Beach, à quelques
kilomètres de là, que ma sœur avait défroissé ma solitude et retapé ma carcasse
éprouvée après plusieurs mois passés en Chine et en Asie. Rien n'a changé, ni
la ville ni la maison ornée de l'aigle américain; seulement, ma sœur n'est plus
là et la maison résonne, froide et vide : aussi l'aigle est-il morne et
pitoyable, et la ville sans âme !
    La nuit, je m'endors dans le camion au bord
d'une plage. Un matin, au réveil, je me frotte les yeux en découvrant Shelley,
une petite Californienne blonde, héritière de la grande migration anglaise.
Elle vient à ma rencontre. Le temps s'arrête dans les collines et dans les
forêts de séquoias. Je ne vois plus que les yeux de Shelley, le corps de
Shelley, les arbres qui plient sous les caresses du vent... Quelques jours plus
tard, nous retournons chez Mike. Il rit, plaisante, lui fait un peu la cour,
frappe à notre porte vers midi pour lâcher une plaisanterie. Il rira encore
plus fort que nous lorsque, au cours d'une étreinte, Shelley et moi passerons
au travers du sommier. Pourtant, le démon de la route m'a repris. Je rassemble
mes économies et, sur la pointe des pieds, tôt le matin, sans réveiller Mike ni
Shelley, je prends la route du sud, celle qui survole les sierras et les
déserts du Mexique.
    Après une courte escale à Guatemala City,
la nuit s'est refermée sur nous. Par le hublot on aperçoit la côte du Venezuela
qui se déroule comme un chapelet de verroteries. Puis à dix heures du soir
l'avion se pose à Là Guaira, l'aéroport de Caracas.
    Dans le hall, j'aperçois Manuel; il me
faudra deux heures épuisantes de formalités pour le retrouver. Manuel fut mon
ami, mon conseiller, mon frère spirituel pendant l'année où je Vécus ici [3] .
On le disait homosexuel : je le ressentais humain, cultivé, naïf et tendre. On
le disait précieux et vieux garçon. Pourquoi pas précieux et vieux garçon? De
son métier, il est décorateur, artiste-artisan dans ce décor hispano-américain
plus incohérent encore que baroque.
    Manuel m'a installé dans un studio vide au
pied de la colline de Las Mercedes, juste au-des- sous de la villa-forteresse
du milliardaire Reni Otolina.
    « Sai-s-tu que Reni Otolina est mort?
Pendant la campagne présidentielle, son avion a décolle de l'aéroport mais, au
lieu de prendre la direction de la mer vers l'île de Margarita où il allait
faire un débat politique, il a tourné et est venu se fracasser contre la
montagne.
    - Accident ?
    - On pense plutôt à un sabotage. »
    Comme un livre jeté et feuilleté par le
vent, les pages tournent à toute vitesse. Mon livre recueil devient cercueil.
La poussière recouvre Otolina, « ... mince, très play-boy sous ses cheveux gris
accordés au gris-bleu des yeux... » Quelques lignes de mots, comme des mottes
de terre que l'on jette en vrac sur une tombe, me reviennent : « J'ai réussi à
avoir un rendez-vous avec l'un des personnages les plus importants de Caracas,
le plus célèbre présentateur de télévision du pays, Reni Otolina (...) Une
gigantesque serre d'orchidées occupe tout un mur de la pièce (...) Emu, il
commence à raconter le cauchemar de sa vie : cette fille championne
d'équitation qui s'est rompu les vertèbres cervicales en plongeant dans une piscine.
Il me montre les photos d'un ange... »
    Ce milliardaire qui voulait encore plus que
des milliards, des milliards de pouvoirs, s'est lancé dans l'arène politique.
Mais la note au bas de sa vie est sinistre, le détail aussi : un enfant mort en
bas âge, une fille à la santé mentale fragile, une troisième fille accidentée
devenue tétraplégique; entre-temps, ses deux filles enlevées par la mafia, et
lui qui va s'écraser contre une falaise.
    Je regarde la pluie qui tombe sur les
plantes tropicales de la terrasse... et les quelques marches de l'entrée qui
m'empêchent de l'atteindre. Mes plus grands rêves, c'est ici que je les ai
déployés. Je les ai aussi meurtris, pliés, brisés contre l'indifférence de
certains, la pauvreté d'esprit de beaucoup. Pourtant, au milieu de ce désert de
Caracas, ce désert de l'âme, certains hommes

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