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Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Segal
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de
longues années. « Les tétraplégiques ne sont pas admis dans cette discipline »,
lui répondent les juges. Il s'explique dans sa langue-, les mots sortent par
saccades, de grosses larmes roulent sur ses joues lisses et glissent dans son
cou, dessinant un paysage auréolé sur son survêtement. Après de longues
palabres on l'autorise enfin à tirer, mais hors classement et légèrement à
l'écart des autres compétiteurs.
    Après chaque volée de flèches, chacun regarde
dans sa lunette d'approche pour corriger le prochain tir. Cette formidable
rangée d'archers a quelque chose de fantastique, comme la charge des chevaliers
teutons sur la mer gelée d'Eisenstein.
    Pour la finale de l'haltérophilie, toutes
les places ont été réservées à la presse locale. J'ai beau discuter, démontrer,
tempêter, rien n'y fait. La bureaucratie anglaise est là, vigilante et
hypocrite, ne « reculant devant aucune évidence ». Avec cent fois plus de
photographes, Diane arrivait à contenter tout le monde. J'obtiens quand même un
billet alors que la compétition est commencée.
    En catégorie poids lourds, Brown prend son
temps; il observe le Suédois, son rival le plus dangereux. Celui-ci, jeune
paraplégique au visage poupin, très gros, tourne depuis cinq minutes autour de
la barre, en lui criant des mots d'encouragement, puis en l'insultant, et
finalement, parvenu au paroxysme de la colère, se glisse dessous. Il soulève en
hurlant les deux cents kilos.
    Maître Brown attend son heure pour assommer
son adversaire. Il commence à 450 livres, pour « voir », comme un joueur de
poker, et puis grimpe la mise. Les chiffres s'accumulent. A la dernière levée,
il s'approche de la barre de .580 livres, soit 265 kilos, et rafle tout l'or de
la médaille.
    Les hommes forts laissent la place aux basketteurs.
Là encore j'ai dû engager une pénible discussion avec la bureaucratie anglaise
et n'ai pu assister aux premiers matches. Bien que pratiquées en fauteuil, les
compétitions de basket se déroulent sur le terrain de basket habituel, avec la
même hauteur de panier et les mêmes règles. Simplement, les roues remplaçant
les jambes, le « marché » signifie deux tours de roue et on reste cinq secondes
au lieu de trois dans la « bouteille ». Interdiction de percuter un fauteuil, de
taper sur le bras d'un adversaire, etc. Le nombre de points marqués lors de
ces matches est voisin de ceux marqués par les athlètes munis de leurs jambes,
ce qui représente une adresse et une rapidité stupéfiantes.
    En regardant le match final qui oppose les
Israéliens aux Américains, j'ai une grande envie de participer. J'y mêle aussi
quelques souvenirs et de la rancune contre la bureaucratie vénézuélienne. Au
Venezuela, lorsque j'avais monté mon association de handicapés, j'avais eu le
désir de former une équipe pour les Jeux. Car ce pays, le plus riche d'Amérique
du Sud, n'a pas d'équipe de sport handicapé, et il « s'en fout ». Il n'aime pas
l'occasion, il préfère le neuf ou le clinquant de Caracas. Le capitaine de
l'équipe américaine, professeur dans une faculté de Los Angeles, est un ancien
polio. Ce grand type de près de deux mètres s'est entraîné en Israël pendant
plusieurs années; à lui seul il va organiser, défendre, attaquer, shooter,
imposer son jeu et son rythme face aux Israéliens redoutés pour leur vitesse.
Le match se tient et les quelques points de la victoire seront arrachés au
capitaine de l'équipe israélienne, encore fatigué de sa victoire en finale du
tournoi de ping-pong. La France fait là une très bonne prestation puisqu'elle
finit troisième après avoir battu les Anglais et les Hollandais.
    Les Jeux se terminent par une immense
parade tout autour du stade, suivie d'un long discours de Sir Ludwig Guttmann,
président et fondateur des Jeux paralympiques. Je le salue ici comme en Suède
et nous échangeons quelques mots d'amitié. Les athlètes, autour de nous, se
sont mis à tourner comme des derviches. Des couples dansent. Des mains se
serrent et se nouent. Mon cœur aussi se serre et se noue; je dis : à demain !
alors que, pour moi, au bout c'est l'inconnu et que, pour beaucoup d'autres,
après sourires, drapeaux, médailles, ce sera le désert et l'indifférence d'une
société égoïste.
    Ce tourbillon des peuples à Montréal m'a
réjoui, m'a fait crier de joie. Toronto a fait plus encore mais je rêve d'être
dans une rue de Los Angeles, le pouce levé, le sac posé sur

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