Viens la mort on va danser
sur le bord du lagon... !
Je visite l'hôpital de la baie James et
rencontre l'infirmière en chef. Elle a déjà cinq barrages derrière elle. En
quittant l'hôpital, elle m'offre une paire de mocassins faits par les Indiens,
là-haut dans le Nord, dans une réserve bien gardée. Je glisse mes doigts à
l'intérieur; un instant je revois
Chariot, dans La Ruée vers l'or, faire danser ses petits pains.
Avant mon départ, la famille Sauvage
m'avait parlé de la princesse Obomsawin, une Indienne qui devait m'emmener dans
sa tribu. Malheureusement, le temps me presse, je ne la verrai pas. Je reste
avec mes deux mocassins. Un jour, quand je reviendrai à Montréal, ils
m'amèneront jusqu'à elle.
Je mets le cap à l'ouest sur Los Angeles, araignée de bitume, ville sans fin
retenue à la terre par des bretelles d'autoroute. Je reviens là sans cesse pour
me refaire des forces, remplir mon corps de substantifique moelle. Je n'ai que
deux points de chute à Los Angeles : la petite maison de ma sœur Brigitte, une
maison de bois adossée à la colline, ses deux pieds posés dans la mer; et celle
de Michaël Jacobs, mon ami Mike, mon professeur, mon partenaire, mon complice.
Je n'ai pas encore retiré mes bottés fourrées ni mon blouson de gros cuir;
aussi, sous le regard des belles Californiennes, nues sous leur tee-shirt,
ai-je l'air d'un chercheur d'or rentré bredouille.
Quelques marches de bois empêchent l'accès
à la maison de Brigitte. Qu'importe! De même que dans le village olympique
j'avais réquisitionné des athlètes pour me porter, cette fois ce sont des «
surfers » à qui je fais appel. Et je ne pèse pas lourd dans leurs formidables
bras.
Entre nous le rite des retrouvailles est
toujours le même. On parle à toute vitesse, mélangeant le sérieux et le
comique, évoquant Paris, Montréal, Epernay, puis Brigitte prépare un énorme sandwich
avec du thon, des tomates et des œufs. On mélange le miel dans le thé brûlant
et, sous nos yeux, accoudés au balcon de bois raboté par le vent, le Pacifique
nous appartient.
Je renoue avec un autre rite que j'avais abandonné
quelque temps. Je me retrouve le pouce levé au bord de la Pacific coast highway, cette route qui
longe toute la Californie et qui remonte en Oregon. Cette fois, elle ne me mène
pas loin : chez les Body Builders, ces culturistes qui soulèvent des poids effarants dans le grand gymnase de
Santa Monica.
De ma rencontre avec les Body Builders, je garde ces quelques images, ces
monologues et ces invectives à fleur de peau :
« Moi, c'est Raymond Lafleur, et lui c'est Sauveur
mon frère jumeau.,. Il est beau, regarde ce corps taillé dans du granit, ces
attaches fines comme celles d'un étalon. »
Raymond Lafleur a une tête de pirate, un
anneau dans l'oreille, une moustache tombante, un bras de fer bleu et rose
tatoué d'un corps de femme, des cœurs percés de flèches, un aigle royal qui
fait frémir ses ailes à chaque mouvement. Robbie, un superbe Noir tout en
boules, en creux, en relief, a des chaînes autour du cou, des papillotes dans
sa toison nattée. Il vient de reposer la barre chargée de fonte, cette barre qui
vous fait des bras comme des troncs d'arbre, noueux et forts.
« Allez, Sauveur, empogne-la, cette salope,
fais gonfler tes beaux biceps... Vas-y, mon Sauveur, prends la cadence,
pompe-moi ça... Une, deux, trois, dix, onze... tabernacle ! montre-nous qui est
le patron !»
Les veines de Sauveur se sont nouées en torrent,
ses formidables biceps dégueulent de douleur. Sa figure n'est plus que grimace.
Il pose la barre en hurlant, puis danse sur place comme si le feu lui dévorait
le corps. La terrible souffrance lui ronge le bas des reins, il trépigne, le
beau Sauveur, comme si la mort avait éjaculé dans sa tête.
Ensuite Raymond et Sauveur sont allés se
faire les cuisses et les mollets... Parce qu'il faut être joli pour la
compétition, face à Lou Ferrigno, le géant sourd, timide comme un écolier, face
à « Colombo », le petit Sicilien émigré, et à Serge le Français, si gracieux
dans ses poses...
« Tu vois, mon gars, quand Sauveur va enrouler
ses biceps et ses « peç », les autres n'auront plus qu'à aller faire du tricot.
Deux fois par semaine on va au ballet pour arrondir le geste. Tu vois, Arnold
Schwarzenegger c'est comme ça qu'il a tout gagné ! Beau qu'il est, le Arnold !
et gentil tu peux pas savoir. Tu vois, moi, pour mes quarante ans, j'ai tout
laissé tomber. J'ai laissé mon
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