Viens la mort on va danser
commence.
Ravel, Chopin, pas de deux, mimes... et le
silence qui retombe dans les plis du désert où deux héros repeignent le monde.
Moi aussi, ce goût du spectacle, je l'avais
eu il y a dix ans, en travaillant le soir chez Bouglione; mais c'était dans une
autre vie-
Avant de quitter Los Angeles, je retourne à
l'hôpital des Vétérans pour m'informer des dernières techniques puis donner un
cours aux étudiants de troisième année de kinési. Mike et moi nous nous
partageons le travail comme de vrais collaborateurs. Je passe ensuite à la «
pharmacie » où je retrouve à chaque fois la même volontaire, souriante, qui me
procure tout ce dont j'ai besoin. Le même matériel acheté en France coûte cinq
fois plus cher et la Sécurité sociale ne rembourse qu'en se faisant tirer
l'oreille. Ainsi, mon fauteuil roulant, le quatrième, est américain, acheté à
Los Angeles et fait sur mesure, comme pour les athlètes des Jeux olympiques.
La Sécurité sociale ne veut même pas entendre parler d'un remboursement partiel
: ce fauteuil « ne fait pas partie de la liste » des antiquités qu'elle
fournit.
A l'hôpital de Fontainebleau, on m'avait procuré
un fauteuil, dit « de sport », lourd comme un camion et dont les roues arrière
étaient dépareillées — alors qu'un fauteuil devrait être aussi confortable et
pratique qu'une paire de chaussures pour un champion. Voit-on un skieur, un coureur
à pied ou un danseur acheter ses chaussures par correspondance? De cela aussi
j'en ai assez, de tout ce qui fait l'apanage de notre médecine de rééducation,
du sacro-saint « à peu près ». Ce n'est pas de l'« à peu près » que nous
voulons, c'est quelque chose qui soit conçu pour nous, adapté à notre taille, à
notre mal; moi, par exemple, je ne sais plus ce que peut être une escarre
fessière depuis que j'utilise un coussin à eau très bien étudié et d'un prix
fort raisonnable. Alors que j'en parlais à l'un des patrons de la rééducation
en France, celui-ci me regarda d'un air étonné. Visiblement, il ne s'était
jamais préoccupé de tels problèmes.
Ma volontaire aux cheveux gris m'a préparé
mon habituel paquet.
« Où partez-vous cette fois ? me dit-elle.
- Je rentre sur Paris et puis...
- Je vous ai mis une grande quantité de
préservatifs. »
Il ne faut voir là aucune allusion grivoise
: c'est pour l'incontinence urinaire qu'on utilise le préservatif, après
l'avoir aisément transformé en y adjoignant un embout de caoutchouc.
"Il pleut sur New York. Sur les pavés
défoncés, le taxi-berline plonge et bondit comme en folie.
Avec ma sœur qui a décidé de m'accompagner,
nous logeons dans un petit hôtel de la 42 e Rue. Un hôtel qui vit
défiler bon nombre d'émigrants, d'écrivains ruinés et d'hommes d'affaires prêts
à faire la culbute. L'étroite fenêtre de la chambre donne sur une cour à la West Side Story. Tout là-haut, sur le toit des
gratte-ciel noyés dans le brouillard, le monde se fait et se défait. Malgré le
froid, la pluie et le vent de novembre, New York palpite, vibre, projette et
recrache les hommes comme dés météores. New York, c'est Naples et Hong Kong
réunis.
Le lendemain, je vais au gré des rues, escaladant
les trottoirs et les poubelles renversées. On dit de cette ville aux yeux
voilés de béton qu'elle est inhumaine et dangereuse, que ses voyous sont dès
Criminels et que la couleur de peau, ici, fait souvent la différence. On dit
d'Harlem encore bien pire. Et pourtant...
Et pourtant je me suis promené un peu
partout dans New York. Je suis entré seul dans une cour défoncée de Harlem; des
enfants sont venus jouer avec moi. Derrière Washington Square, dans le «
Village », les Hell's Angels m'ont montré leurs repaires, leurs motos. Charlie le manchot, qui tel le
capitaine Crochet manie si bien le couteau à cran d'arrêt, voulait tout savoir
de la France et de mes voyages.
Je ne suis resté que quelques jours dans
cette ville-minotaure, fascinante et vulnérable, puis j'ai repris l'avion pour
Paris. Quelque part au-dessus de l'Atlantique, je me suis souvenu que je venais
d'avoir trente ans. « Je suis dans cet avion perdu dans le ciel, et j'ai trente
ans », me répétais-je. Depuis six ans que je n'ai plus lés pieds sur terre, c'est
dans un avion que je me sens le plus libre.
A l'arrivée, j'ai été le seul passager à
être fouillé en bonne et due forme. Le douanier, pensant mettre la main sur un
gros trafic, jubilait en me
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