Vies des douze Césars
tête.
XXVII. Il étale ses vices au grand jour. Ses dîners publics
(1) Peu à peu ses vices se développèrent, à un tel point que, laissant là toute plaisanterie et tout mystère, il se jeta publiquement dans les plus grands excès, sans s’inquiéter du soin de les dissimuler. (2) Il prolongeait ses repas de midi à minuit. Souvent il prenait des bains chauds, et, pendant l’été, des bains à la neige. Quelquefois il soupait en public, soit dans la naumachie qu’il faisait fermer, soit au Champ de Mars ou dans le grand cirque, et se faisait servir par toutes les courtisanes et toutes les danseuses de Rome. (3) Lorsqu’il descendait le Tibre pour se rendre à Ostie, ou qu’il passait devant le golfe de Baïes, on disposait, le long du rivage, des guinguettes et de magnifiques lieux de débauches pour les matrones qui, placées là comme des hôtesses, l’appelaient de toutes parts et l’invitaient à débarquer chez elles. (4) Il s’invitait à souper chez ses amis. Il en coûta à l’un d’eux quatre millions de sesterces, pour un festin avec diadèmes, et plus encore à un autre pour un banquet avec roses.
XXVIII. Ses adultères. Son mariage avec Sporus. Sa passion incestueuse pour Agrippine
(1) Sans parler de ses débauches avec les hommes libres, et de ses amours adultères, Néron viola une vestale nommée Rubria. (2) Il fut sur le point d’épouser en légitime mariage son affranchie Acté, et il aposta des personnages consulaires pour jurer qu’elle était d’un sang royal. (3) Il rendit eunuque le jeune Sporus et prétendit le métamorphoser en femme. Il l’amena à sa cour avec une suite considérable, lui constitua une dot, l’orna du voile nuptial, et l’épousa en observant toutes les cérémonies d’usage. C’est ce qui fit dire assez spirituellement à quelqu’un, qu’il eût été heureux pour le genre humain que son père Domitius eût épousé une femme de cette espèce. (4) Il fit habiller ce Sporus comme une impératrice, le promena en litière et l’accompagna dans les assemblées et dans les marchés de la Grèce, ainsi que dans les fêtes sigillaires de Rome, en lui donnant de temps en temps des baisers. (5) Il est hors de doute qu’il voulut abuser de sa mère, et que les ennemis d’Agrippine l’en détournèrent, de peur que cette femme impérieuse et violente n’acquît trop d’ascendant par ce nouveau genre de faveur. Ce qui accrédita cette opinion, c’est qu’il plaça parmi ses concubines une courtisane qui ressemblait beaucoup, dit-on, à Agrippine. (6) On assure même qu’autrefois, quand il se promenait en litière avec sa mère, il satisfaisait ses désirs incestueux, et qu’on s’en aperçut aux taches de ses vêtements.
XXIX. Ses prostitutions en public. Son indulgence pour les débauchés
(1) Il se prostitua à un tel point, qu’ayant souillé presque toutes les parties de son corps, il imagina enfin, comme une espèce de jeu, de se couvrir d’une peau de bête, et de s’élancer d’une loge sur les parties sexuelles des hommes et des femmes attachés à des poteaux. Puis, quand il avait assouvi sa brutalité, il s’abandonnait à son affranchi Doryphore auquel il tenait lieu de femme, comme il était l’époux de Sporus, et contrefaisait alors les cris lamentables des vierges qu’on outrage. (2) Je tiens de quelques personnes qu’il était très persuadé qu’aucun homme n’était chaste ou pur dans aucune partie de son corps ; mais que la plupart dissimulaient ce vice et avaient l’art de le cacher. Aussi pardonnait-il tout à ceux qui avouaient devant lui leur lubricité.
XXX. Ses profusions et son luxe
(1) Il croyait que la prodigalité était le seul usage des richesses et de l’argent. Pour être avare et sordide à ses yeux il suffisait de compter ses dépenses ; pour être vraiment splendide et magnifique, il fallait abuser et se ruiner. (2) Ce qu’il louait, ce qu’il admirait le plus dans son oncle Caius, c’était d’avoir dissipé en peu de temps la grande fortune qu’avait laissée Tibère. (3) Aussi ne mit-il aucunes bornes à ses largesses et à ses profusions. (4) On aura peine à croire qu’il fournissait à Tiridate huit cent mille sesterces par jour, et qu’à son départ il lui en accorda plus d’un million. (5) Il donna au joueur de luth Ménécrate et au gladiateur Spiculus les biens et les maisons de citoyens qui avaient eu les honneurs du triomphe. (6) Il fit faire des
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