Vies des douze Césars
funérailles presque royales à l’usurier Paneros Cercopithecus qu’il avait déjà enrichi de possessions urbaines et rurales. (7) Il ne mit aucun habit deux fois. Il jouait aux dés à quatre cent mille sesterces le point. Il pêchait avec un filet doré, composé de fils de pourpre et d’écarlate. (8) Jamais il ne voyagea, dit-on, avec moins de mille voitures. Ses mulets étaient ferrés d’argent, et ses muletiers vêtus de belle laine de Canusium ; ses cavaliers et ses coureurs portaient des bracelets et des colliers.
XXXI. Ses constructions gigantesques et ruineuses
(1) Ce fut surtout dans ses constructions qu’il se montra dissipateur. Il étendit son palais depuis le mont Palatin jusqu’aux Esquilies. Il l’appela d’abord « le Passage ». Mais, le feu l’ayant consumé, il le rebâtit, et l’appela « la Maison dorée ». Pour en faire connaître l’étendue et la magnificence, il suffira de dire (2) que, dans le vestibule, la statue colossale de Néron s’élevait de cent vingt pieds de haut ; que les portiques à trois rangs de colonnes avaient un mille de longueur ; qu’il renfermait une pièce d’eau, semblable à une mer bordée d’édifices qui paraissaient former autant de villes ; qu’on y voyait des champs de blé, des vignobles, des pâturages, des forêts peuplées de troupeaux et d’animaux sauvages de toute espèce. (3) Dans les diverses parties de l’édifice, tout était doré et enrichi de pierreries et de coquillages à grosses perles. Les salles à manger avaient pour plafonds des tablettes d’ivoire mobiles, qui, par différents tuyaux, répandaient sur les convives des parfums et des fleurs. La principale pièce était ronde, et jour et nuit elle tournait sans relâche pour imiter le mouvement du monde. Les bains étaient alimentés par les eaux de la mer et par celles d’Albula. (4) Lorsque après l’avoir achevé, Néron inaugura son palais, tout l’éloge qu’il en fit se réduisit à ces mots : « Je commence enfin à être logé comme un homme. » (5) Il voulut construire un bain couvert depuis Misène jusqu’au lac Averne, l’entourer de portiques, et y faire entrer toutes les eaux thermales de Baïes. Il commença aussi un canal, depuis l’Averne jusqu’à Ostie, dans un espace de cent soixante milles, pour dispenser d’aller par mer. Ce canal devait avoir une telle largeur que deux galères à cinq rangs de rames pussent s’y croiser. (6) Pour achever de pareils ouvrages, il fit transporter en Italie tous les détenus, et ordonna que les criminels ne fussent condamnés qu’aux travaux. (7) Outre la confiance qu’il avait en son pouvoir, ce qui encourageait cette fureur de dépenses, c’était l’espoir qu’il conçut tout à coup de s’emparer de richesses immenses et cachées. Car un chevalier romain lui avait assuré qu’il trouverait d’anciens trésors en Afrique, dans de vastes cavernes où la reine Didon les avait enfouis en s’éloignant de Tyr, et qu’il en coûterait fort peu de peine pour les retirer.
XXXII. Ses exactions, ses confiscations, ses rapines
(1) Mais, trompé dans ses espérances, appauvri, épuisé et sans ressource, au point d’être obligé de différer la paie des soldats et les pensions des vétérans, il eut recours aux confiscations et aux rapines. (2) Il statua, avant tout, qu’au lieu de la moitié du bien de ses affranchis qui lui revenait par succession, les cinq sixièmes lui appartiendraient, lorsque, sans raison suffisante, ils porteraient le nom d’une des familles auxquelles il était allié ; ensuite que les testaments de ceux qui se rendraient coupables d’ingratitude envers le prince seraient acquis au fisc, et que les jurisconsultes qui les auraient écrits ou dictés seraient punis ; enfin que, d’après la loi de lèse-majesté, on connaîtrait en justice de toutes les paroles et de toutes les actions qui seraient dénoncées. (3) Il se fit rendre les prix des couronnes que les villes lui avaient offertes dans les jeux. (4) Il défendit l’usage des couleurs violette et pourpre. Un jour de foire, il aposta quelqu’un pour en vendre quelques onces, et emprisonna tous les autres marchands. (5) Pendant qu’il chantait, il vit au spectacle une femme parée de cette pourpre défendue. Il la signala, dit-on, à ses agents, et la dépouilla sur-le-champ, non seulement de sa robe, mais encore de ses biens. (6) Jamais il ne conféra de charge à personne sans ajouter :
Weitere Kostenlose Bücher