Vies des douze Césars
Proserpine. Dans la cérémonie solennelle des vœux qu’il devait prononcer en présence de tous les ordres de l’État, on eut beaucoup de peine à trouver les clefs du Capitole. (5) Lorsqu’on lut dans le sénat ce passage de sa harangue contre Vindex : « Les coupables seront punis et subiront une mort digne de leurs crimes, » tous s’écrièrent : « Tu la subiras, César. » (6) On observa aussi que dans la pièce « Oedipe en exil », la dernière qu’il ait jouée en public, il finit par ce vers : «
Tous ordonnent ma mort, épouse, père et mère.
XLVII. Révolte des autres armées. Néron est abandonné par tout le monde.
(1) Bientôt on lui annonça la défection des autres armées. Il déchira la lettre qu’on lui remit pendant son dîner, renversa la table, brisa contre terre deux vases dont il aimait à se servir, et qu’il appelait homériques, parce qu’on y avait sculpté des sujets tirés d’Homère ; puis il se fit donner du poison par Locuste, le mit dans une botte d’or, et passa dans les jardins de Servilius. Là, il envoya à Ostie ses plus fidèles affranchis pour y préparer une flotte, et voulut engager les tribuns et les centurions du prétoire à l’accompagner dans sa fuite. (2) Mais les uns hésitèrent, les autres refusèrent sans détour. L’un d’eux s’écria même : « Est-ce un si grand malheur que de cesser de vivre ?» Alors il délibéra s’il se retirerait chez les Parthes, s’il irait se jeter aux pieds de Galba, ou s’il paraîtrait en public avec des habits de deuil pour demander du haut de la tribune aux harangues, de la voix la plus lamentable, qu’on lui pardonnât son passé. Il espérait, s’il ne parvenait à toucher les cœurs, obtenir du moins le gouvernement de l’Égypte. (3) On trouva même dans son écritoire un discours sur ce sujet. Mais il fut détourné, dit-on, de ce dessein, par la crainte d’être mis en pièces avant d’arriver au Forum. (4) Il remit donc au lendemain à prendre un parti. Réveillé vers minuit, il s’aperçut que ses gardes l’avaient abandonné. Il sauta de son lit et envoya chercher ses amis. Mais, n’en recevant aucune réponse, il alla lui-même avec peu de monde se présenter chez eux. (5) Il trouva toutes les portes fermées, et personne ne lui répondit. Il revint dans sa chambre : les sentinelles avaient pris la fuite en emportant jusqu’à ses couvertures et la boîte d’or où était le poison. Il demanda aussitôt le gladiateur Spiculus ou quelque autre qui voulut l’égorger. Mais, ne trouvant personne : « Je n’ai donc, dit-il, ni amis, ni ennemis, » et il courut comme s’il allait se précipiter dans le Tibre.
XLVIII. Il fuit avec quatre personnes. Incident de cette fuite
(1) Revenu de ce premier mouvement, il chercha quelque retraite obscure pour reprendre ses esprits. Phaon, son affranchi, lui offrit sa villa située vers le quatrième milliaire, entre la voie Salaria et la voie Nomentane. Il monta à cheval, pieds nus et en tunique, comme il était, enveloppé d’une casaque usée, la tête couverte et un voile sur le visage, n’ayant pour suite que quatre personnes parmi lesquelles était Sporus. (2) Un tremblement de terre et un éclair le glacèrent d’effroi. Du camp voisin il entendit les cris des soldats qui faisaient des imprécations contre lui et des vœux pour Galba. Un des passants qu’on rencontra se mit à dire : « Voilà des gens qui poursuivent Néron. » Un autre demanda : « Que dit-on à Rome de Néron ?» (3) Son cheval s’étant effarouché de l’odeur d’un cadavre abandonné sur la route, il découvrit son visage et fut reconnu par un ancien soldat prétorien qui le salua. (4) Arrivé à la traverse, il renvoya les chevaux et s’avança avec tant de peine à travers des taillis et des buissons dans un sentier planté de roseaux, que, pour parvenir derrière la maison de campagne, il fut obligé de mettre son vêtement sous ses pieds. (5) Phaon lui conseilla de se retirer dans une carrière d’où l’on avait extrait du sable ; mais il répondit qu’il ne voulait pas s’enterrer tout vif. En attendant qu’on trouvât le moyen de pratiquer une entrée secrète dans cette villa, il puisa de l’eau d’une mare dans le creux de sa main et la but en disant : « Voilà donc les rafraîchissements de Néron. » (6) Puis il se mit à arracher les ronces dont sa casaque était percée. Enfin il se traîna sur les
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