Vies des douze Césars
des anciens généraux romains, encore parées des dépouilles des ennemis, les temples bâtis et consacrés par les rois de Rome ou pendant les guerres des Gaules et de Carthage, enfin tout ce que l’antiquité avait laissé de curieux et de mémorable. (6) Il regardait ce spectacle du haut de la tour de Mécène, charmé, disait-il, de la beauté de la flamme, et chantant la prise de Troie, revêtu de son costume de comédien. (7) De peur de laisser échapper cette occasion de pillage et de butin, il promit de faire enlever gratuitement les cadavres et les décombres ; mais il ne permit à personne d’approcher des restes de sa propriété. Il reçut et même exigea des contributions pour les réparations de la ville, et faillit ainsi ruiner les provinces et les revenus des particuliers.
XXXIX. Il supporte patiemment les injures et les satires
(1) À de si grands maux, à de si cruels outrages dont l’empereur était la cause, la fortune ajouta encore d’autres fléaux. En un seul automne, la peste inscrivit trente mille convois sur les registres funèbres. Dans une défaite en Bretagne, deux de nos principales places furent pillées, et un grand nombre de citoyens et d’alliés massacrés. Du côté de l’Orient, un échec honteux en Arménie fit passer nos légions sous le joug, et la Syrie fut sur le point de nous échapper. (2) Au milieu de ces désastres, ce qui étonne, ce qu’on ne saurait trop remarquer, c’est que Néron ne supporta rien avec plus de patience que les satires et les injures, et que jamais il ne montra plus de douceur qu’envers ceux qui le déchiraient dans leurs discours ou dans leurs vers. (3) On afficha ou l’on répandit contre lui beaucoup d’épigrammes grecques et latines telles que celles-ci
Aux parricides noms d’Alcméon et d’Oreste
Joins celui de Néron que tout Romain déteste.
Récemment marié, Néron tua sa mère.
Énée est ton aïeul : s’il emporta son père,
Tes coups, noble César, ont emporté ta mère.
Ô Parthe, et toi, Néron, l’univers vous admire :
Vous êtes de Phébus les fidèles portraits ;
L’un sait tendre son arc, l’autre monter sa lyre,
L’un jouer de son luth, l’autre lancer ses traits.
Rome va devenir une seule maison.
Allons chez les Véiens reprendre garnison,
À moins que, par malheur, cette maison hostile,
En s’étendant toujours, n’ait envahi leur ville.
(4) Il n’en poursuivit point les auteurs, et s’opposa à ce qu’on punît sévèrement ceux qui furent dénoncés au sénat. (5) Au moment où il passait, Isidore le Cynique lui reprocha hautement en public, de chanter si bien les maux de Nauplius, et de si mal user de ses biens. Datus, acteur d’atellanes, dans un rôle où se trouvaient ces mots : « Bonjour, mon père, bonjour, ma mère, » imita l’action de boire et de nager pour faire allusion à la mort de Claude et à celle d’Agrippine. Au dernier refrain
Pluton vous traîne par les pieds.
il fit un geste qui désignait le sénat. (6) Néron se contenta d’exiler de Rome et d’Italie le philosophe et l’histrion, soit qu’il méprisât l’opinion publique, soit qu’il craignît, en montrant son dépit, de l’irriter davantage.
XL. Révolte de Vindex et de l’armée des Gaules. Sécurité de Néron
(1) L’univers, après avoir supporté un tel prince un peu moins de quatorze ans, l’abandonna enfin. Les Gaulois donnèrent le signal sous la conduite de Julius Vindex, qui alors gouvernait leur province en qualité de propréteur. (2) Les astrologues avaient autrefois prédit à Néron qu’un jour on le délaisserait ; ce qui lui donna lieu de prononcer ce mot célèbre : « Toute la terre entretient le génie, » voulant par là justifier son goût pour la musique, art agréable aux princes, et nécessaire aux particuliers. (3) Cependant des devins lui avaient promis qu’à sa déchéance il régnerait sur l’Orient ; d’autres lui avaient assigné le royaume de Jérusalem ; plusieurs lui assuraient l’entier rétablissement de sa couronne. (4) Porté à croire cette dernière prédiction, après avoir perdu et recouvré tour à tour la Bretagne et l’Arménie, il se crut délivré des maux dont le Destin le menaçait. (5) Mais, quand l’oracle d’Apollon l’eut averti à Delphes de prendre garde à la soixante-treizième année, persuadé que c’était le terme de sa vie, sans se préoccuper en rien de l’âge de Galba, il se flatta non
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