Vies des douze Césars
la poésie, il faisait des vers avec plaisir et sans travail. Il est faux, comme le croient quelques personnes, qu’il ait donné pour siens ceux d’autrui. (3) J’ai entre les mains des tablettes et des écrits où se trouvent quelques vers de lui fort connus. Ils sont tracés de sa main, et l’on voit aisément qu’ils ne sont ni copiés, ni dictés, tant il y a de ratures, de mots effacés et intercalés. Il eut aussi beaucoup de goût pour la peinture et la sculpture.
LIII. Son caractère envieux
(1) Désireux surtout de plaire au peuple, il était le rival de quiconque agissait sur la multitude par quelque moyen que ce fût. (2) Le bruit se répandit que, après ses succès de théâtre au prochain lustre, il descendrait dans l’arène avec les athlètes aux jeux olympiques. En effet, il s’exerçait assidûment à la lutte, et, dans toute la Grèce, lorsqu’il assistait aux combats gymniques, c’était à la manière des juges, en s’asseyant par terre dans le stade. Si quelques couples s’éloignaient trop, il les ramenait lui-même au centre. (3) Voyant qu’on le comparait à Apollon pour le chant, et au soleil dans l’art de diriger un char, il voulut imiter aussi les actions d’Hercule. On dit même qu’on avait préparé le lion qu’il devait combattre nu dans l’arène, et assommer de sa massue ou étouffer dans ses bras en présence du peuple.
LIV. Ses projets, s’il eût triomphé de ses ennemis
(1) Sur la fin de sa vie, il avait fait vœu, dans le cas où l’empire lui resterait, de paraître aux jeux qui seraient célébrés en l’honneur de sa victoire, et d’y jouer de l’orgue hydraulique, de la flûte et de la cornemuse, et de danser le Turnus de Virgile, au dernier jour de ces jeux. (2) Quelques-uns prétendent qu’il fit périr l’histrion Pâris comme un trop redoutable adversaire.
LV. Sa manie de s’immortaliser
L’envie de s’immortaliser n’était chez lui qu’une aveugle manie. Il changea le nom de plusieurs choses et de plusieurs lieux pour y substituer des noms dérivés du sien. Il appela « Néronien » le mois d’avril, et voulait appeler Rome « Néropolis ».
LVI. Son mépris pour tous les cultes. Sa seule superstition
Il affichait partout le mépris de la religion, à l’exception du culte de la déesse Syria. Mais dans la suite, il en fit si peu de cas, qu’il la souilla de son urine. Il eut une autre superstition, la seule à laquelle il fut opiniâtrement attaché : c’était la statuette d’une jeune fille dont un plébéien qu’il ne connaissait pas lui avait fait présent, comme d’un préservatif contre les embûches. Une conspiration fut découverte dans le même temps ; et dès lors il fit de cette idole sa divinité suprême, et l’honora constamment de trois sacrifices par jour. Il voulait qu’on crût qu’elle lui faisait connaître l’avenir. Quelques mois avant sa mort, il observa aussi les entrailles des victimes, sans jamais en tirer un heureux présage.
LVII. Joie universelle à la nouvelle de sa mort. Sa mémoire honorée de quelques-uns
(1) Il mourut dans la trente-deuxième année de son âge, le même jour où il avait fait périr Octavie. L’allégresse publique fut si grande que le peuple, coiffé de bonnets de laine, courut çà et là par toute la ville. (2) Cependant il y eut des gens qui ornèrent longtemps encore son tombeau des fleurs du printemps et de l’été. Ils portaient à la tribune aux harangues tantôt ses images vêtues de la robe prétexte, tantôt des proclamations qu’on lui attribuait, comme s’il eût été vivant, et qu’il dût bientôt reparaître pour se venger de ses ennemis. (3) Vologèse, roi des Parthes, envoya au sénat des députés pour renouveler son alliance, et il insista vivement pour qu’on honorât la mémoire de Néron. (4) Enfin, vingt ans après sa mort, lorsque je sortais de l’enfance, il parut un aventurier qui se disait Néron. À la faveur de ce nom supposé, il fut très bien accueilli chez les Parthes, en reçut de grands secours, et ne nous fut rendu qu’avec beaucoup de peine.
VII.
Vie de Galba
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Traduction française de M.Cabaret-Dupaty, Paris, 1893, avec quelques adaptations de J. Poucet, Louvain, 2001
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I. Prodiges qui annoncèrent l’extinction de la race des Césars
(1) La famille des Césars s’éteignit en Néron. Parmi beaucoup de
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