Vies des douze Césars
ne se joignissent pas aux insurgés, les autres comme complices et fauteurs de leurs compatriotes ; abandonner aux armées le pillage des Gaules ; empoisonner tout le sénat dans un festin, mettre le feu à Rome, et en même temps lâcher les bêtes féroces sur le peuple pour l’empêcher de se garantir des flammes. (2) Il fut détourné de ces projets bien moins par le repentir que par l’impossibilité de l’exécution. Pensant alors qu’une expédition était nécessaire, il destitua les consuls avant le temps et se mit seul à leur place, sous prétexte que les Gaules, d’après l’arrêt du Destin ne pouvaient être soumises que par un consul. (3) Il prit donc les faisceaux, et, après son repas, sortit de la salle à manger appuyé sur les épaules de ses amis. Il leur déclara que, dès qu’il aurait touché le sol de la province, il paraîtrait sans armes aux yeux des légions, et n’aurait qu’à répandre des pleurs en leur présence ; que les séditieux seraient saisis de repentir, et que le lendemain, dans l’allégresse commune, il entonnerait un hymne de victoire qu’il allait composer.
XLIV. Il veut armer les tribus urbaines et les esclaves. Il lève des contributions énormes
(1) En préparant cette expédition, son premier soin fut de choisir des voitures pour le transport de ses instruments de musique, de faire couper les cheveux à ses concubines de la même manière qu’aux hommes, et de les emmener avec lui, armées de haches et de boucliers d’amazones. (2) Il convoqua les tribus urbaines pour recevoir leur serment militaire. Mais personne de ceux qui étaient en état de porter les armes ne répondant à l’appel, il exigea des maîtres un certain nombre d’esclaves, et prit dans chaque maison les meilleurs, sans en excepter les intendants et les secrétaires. (3) Il fit contribuer d’une partie de leur fortune tous les ordres de l’État, et obligea les locataires de maisons particulières et de maisons publiques de verser au fisc une année de loyer. Il tenait avec une rigueur extrême à ce que les espèces fussent neuves, l’argent pur et l’or éprouvé, en sorte que la plupart des contribuables refusèrent ouvertement de rien donner, en s’écriant qu’il ferait beaucoup mieux de reprendre aux délateurs les récompenses qu’ils avaient reçues de lui.
XLV. Disette à Rome. Outrages faits à Néron
(1) La cherté des grains rendit encore plus odieux les athlètes qu’il entretenait. Au milieu de la famine publique, on annonça qu’un vaisseau d’Alexandrie avait apporté du sable pour les lutteurs de la cour. (2) L’indignation contre lui fut générale, et il n’y eut point d’affront qu’il n’essuyât. (3) On mit un char derrière sa statue avec cette inscription en grec : « Voici enfin le moment du combat, » et celle-ci : « Qu’il le traîne enfin. » (4) On attacha un sac au cou d’une autre de ses statues, et l’on y inscrivit : « Qu’ai-je fait ? mais toi, tu as mérité le sac. » On lisait aussi sur des colonnes : « Les coqs (les Gaulois) l’ont enfin réveillé par leur chant. » (5) Pendant la nuit, plusieurs personnes, feignant de se disputer avec leurs esclaves, réclamaient à grands cris un « Vindex ».
XLVI. Avertissements sinistres qui lui sont donnés dans ses songes, ou par des présages et des prodiges
(1) Ses frayeurs étaient redoublées par des présages manifestes, ou récents, ou anciens, et par des songes qui le troublaient d’autant plus (2) qu’auparavant il n’avait pas coutume de rêver. Après avoir assassiné sa mère, il rêva qu’on lui arrachait le gouvernail d’un navire qu’il dirigeait, et qu’Octavie sa femme le traînait dans d’épaisses ténèbres. Tantôt il crut en songe être couvert d’une multitude de fourmis ailées ; tantôt il vit les effigies des nations, placées à l’entrée du théâtre de Pompée, l’entourer et lui fermer le passage. Son cheval asturien, qu’il idolâtrait, lui apparut transformé en singe, à l’exception de la tête, et poussant des hennissements harmonieux. (3) Les portes du Mausolée s’ouvrirent d’elles-mêmes, et l’on entendit une voix qui l’appelait par son nom. (4) Les dieux Lares, ornés pour les calendes de janvier, tombèrent au milieu des préparatifs du sacrifice. Au moment où il allait prendre les auspices, Sporus lui fit présent d’un anneau où était gravé sur la pierre l’enlèvement de
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