Vies des douze Césars
présence de son mari, emmené une femme consulaire, de la salle à manger dans un cabinet, d’où elle ne serait revenue à table que les oreilles rouges et les cheveux en désordre. Il ajoute que Scribonia ne fut répudiée que pour avoir trop déploré la puissance de sa rivale, et que les amis d’Auguste le pourvoyaient de femmes mariées et de filles nubiles qu’ils faisaient déshabiller et qu’ils examinaient, comme des esclaves vendus par Toranius. (3) Avant d’être entièrement brouillé avec lui, il allait jusqu’à lui écrire amicalement : « Pourquoi es-tu changé à mon égard ? Est-ce parce que je suis l’amant d’une reine ? Mais elle est ma femme, non pas d’hier, mais depuis neuf ans. Et toi, ne vis-tu qu’avec Drusilla ? Je parie qu’au moment où tu liras cette lettre, tu auras triomphé de Tertulla, ou de Terentilla, ou de Rufilla, ou de Salvia Titisenia, ou peut-être de toutes. Qu’importe, en effet, le lieu et l’objet de tes amours."
LXX. Le souper des douze divinités
(1) On parla aussi beaucoup d’un souper secret, qu’on appelait le repas des douze divinités, dans lequel les convives étaient habillés en dieux et en déesses, et où Auguste lui-même représentait Apollon. Des lettres d’Antoine énumèrent avec une sanglante ironie les personnes qui composaient ce festin, sur lequel un anonyme a fait ces vers si connus :
Lorsque, au joyeux appel de leur hôtesse aimable,
Les douze déités eurent pris place à table,
Et qu’Apollon César, à la face des cieux,
À des crimes nouveaux eut convié les dieux,
L’Olympe détourna ses regards de la terre,
Et Jupiter quitta son trône avec colère.
(2) Ce qui augmenta encore le scandale de ce souper, c’est que Rome était alors en proie à la disette. Le lendemain on s’écriait « que les dieux avaient mangé tous les grains, et que César était vraiment Apollon, mais Apollon bourreau », surnom sous lequel ce dieu était révéré dans un quartier de la ville. (3) On blâma aussi son goût pour les meubles précieux et les vases de Corinthe, ainsi que sa passion pour les jeux de hasard. À l’époque des proscriptions, on mit au bas de sa statue :
Mon père était banquier, et moi je suis bronzier.
parce qu’on croyait qu’il avait porté quelques citoyens sur les listes de proscription pour s’approprier leurs vases de Corinthe. Pendant la guerre de Sicile, on répandit l’épigramme suivante :
Deux fois le malheureux s’est fait battre sur mer,
Et, pour se rattraper, il joue un jeu d’enfer.
LXXI. Sa passion pour le jeu. Quelques passages de ses lettres
(1) De toutes ces accusations, ou de toutes ces calomnies, les bruits infâmes sur son impudicité furent ceux qu’il confondit le plus aisément, tant par la régularité de sa vie présente que par celle qu’il tint à la suite. Il prouva aussi qu’il était peu passionné pour le luxe, lorsque après la prise d’Alexandrie, il ne se réserva, de toutes les richesses des rois, qu’un vase murrhin, et fit fondre tous les vases d’or d’usage journalier. (2) La volupté exerça toujours sur lui un grand empire. Il aimait surtout, dit-on, les vierges ; et Livie elle-même contribuait à lui en procurer de toutes parts. (3) Indifférent à sa réputation de joueur, il jouait sans déguisement et sans mystère. C’était un délassement qu’il affectionnait, même dans sa vieillesse, non seulement pendant le mois de décembre, mais encore les autres jours de l’année, qu’il y eût fête ou non. (4) C’est ce qu’on voit par une lettre de sa main, dans laquelle il dit : « Mon cher Tibère, j’ai soupé avec les mêmes personnes. Vinicius et Silius le père sont venus augmenter le nombre des convives. Pendant le repas, nous avons joué en vieillards, hier comme aujourd’hui. Après avoir jeté les dés, celui qui avait amené le chien ou le six mettait au jeu un denier pour chaque dé, et celui qui avait amené Vénus prenait tout. » (5) Dans une autre lettre il dit : « Mon cher, Tibère, nous avons bien passé les fêtes de Minerve ; car nous avons joué tous les jours, et nous avons bien chauffé la table de jeu. Ton frère jetait les hauts cris ; mais, au bout du compte, il n’a pas perdu beaucoup. Contre son attente, il s’est refait de ses grandes pertes. J’en suis, moi, pour vingt mille sesterces. Mais aussi, j’ai été , selon mes habitudes, beaucoup trop facile ; car
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