Vies des douze Césars
présents : tantôt c’étaient des habits, de l’or, de l’argent ; tantôt c’étaient des monnaies de toute espèce ; il s’en trouvait d’anciennes du temps des rois et d’étrangères ; d’autres fois il ne donnait que des étoffes grossières, des éponges, des fourgons, des pinces et d’autres choses semblables, en y mettant des inscriptions obscures et à double sens. (3) Dans les repas, il faisait tirer des lots d’une extrême inégalité, ou mettait en vente des tableaux à l’envers, et l’incertitude des chances trompait ou remplissait l’attente des acheteurs. Il se faisait à chaque lit une licitation, et l’on se communiquait sa bonne ou sa mauvaise fortune.
LXXVI. Sa frugalité
(1) Il mangeait peu (je ne veux pas omettre ce détail), et se contentait d’aliments communs. (2) Ce qu’il aimait le mieux, c’était du pain de ménage, de petits poissons, des fromages faits à la main et des figues fraîches de l’espèce qui vient deux fois l’année. Pour prendre de la nourriture il n’attendait point l’heure du repas, et ne consultait que le besoin, sans s’inquiéter ni du temps ni du lieu. (3) Il disait dans ses lettres : « Nous avons mangé du pain et des dattes dans notre voiture. » Et ailleurs : « En revenant de la basilique à ma maison, j’ai mangé une once de pain et quelques grains de raisin sec. » (4) Il écrit à Tibère : « Il n’y a point de Juif qui observe mieux le jeûne un jour de sabbat que je ne l’ai fait aujourd’hui ; car je n’ai mangé que deux bouchées dans mon bain, après la première heure de nuit, et avant de me faire parfumer. » (5) D’après cette méthode, il lui arrivait parfois de souper seul avant le repas, ou d’attendre qu’il fût fini, sans rien toucher pendant qu’on était à table.
LXXVII. Sa sobriété
(1) Par goût il était tout aussi sobre de vin. (2) Dans son camp devant Modène, suivant Cornelius Nepos, il ne buvait pas plus de trois fois à son souper ; (3) et, dans ses plus grands excès, il ne dépassait pas trois bouteilles, ou, s’il allait au-delà, il vomissait. Il avait une prédilection pour le vin de Rhétie ; mais il en buvait rarement pendant la journée. (4) Au lieu de boisson, il prenait du pain trempé dans de l’eau fraîche, ou un morceau de concombre, ou un pied de laitue, ou un fruit acide et vineux.
LXXVIII. Son sommeil
(1) Après son repas de midi, il reposait un peu, tout habillé et tout chaussé, les jambes étendues et la main sur les yeux. (2) Lorsqu’il avait soupé, il se rendait dans son cabinet de travail. Là il veillait fort avant dans la nuit pour achever, entièrement ou en grande partie, ce qui lui restait des occupations de la journée. (3) Ensuite il allait se coucher, et habituellement il ne dormait que sept heures : encore ne dormait-il pas d’un trait ; car, dans cet intervalle, il se réveillait trois ou quatre fois. (4) Si, par hasard, il ne pouvait retrouver le sommeil, il se faisait lire ou réciter des contes jusqu’à ce qu’il se rendormît, et restait au lit souvent après le jour levé. Jamais il ne veilla dans les ténèbres, sans avoir quelqu’un auprès de lui. (5) La veille du matin l’incommodait ; et, quand un devoir ou un sacrifice l’obligeait à se lever de bonne heure, pour n’en souffrir aucun préjudice, il se tenait à proximité dans la chambre de quelqu’un des siens. Plus d’une fois aussi, cédant au besoin de sommeil, il s’endormait pendant qu’on le portait dans les rues, et dès que sa litière s’arrêtait quelque temps.
LXXIX. Son portrait
(1) Sa beauté traversa les divers degrés de l’âge en se conservant dans tout son éclat, quoiqu’il négligeât les ressources de l’art. Il s’inquiétait si peu du soin de sa chevelure, qu’il occupait à la hâte plusieurs coiffeurs à la fois, et que, tantôt il se faisait couper la barbe, tantôt il la faisait raser, sans qu’il cessât, pendant ce temps, de lire ou d’écrire. (2) Soit qu’il parlât, soit qu’il se tût, il avait le visage tranquille et serein. Un des principaux personnages de la Gaule avoua aux siens qu’il avait conçu le projet d’aborder ce prince au passage des Alpes, comme pour s’entretenir avec lui, et de le jeter dans un précipice, mais que la douceur de son visage l’avait détourné de sa résolution. (3) Auguste avait les yeux vifs et brillants ; il voulait même que l’on crût qu’ils tenaient de
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