Vies des douze Césars
surnom de Caligula à une plaisanterie militaire : il lui vint de la chaussure qu’il portait dans le camp où il fut élevé. (2) Ce fut surtout après la mort d’Auguste que l’on s’aperçut combien cette éducation, au milieu des soldats, leur inspirait d’attachement pour lui. Sa seule présence arrêta la fureur des séditieux prêts à se porter aux plus grands excès. (3) Ils ne s’apaisèrent que lorsqu’ils virent que, pour le dérober au danger, on allait l’envoyer dans une ville voisine. Alors, pénétrés de repentir, ils retinrent son char, et demandèrent avec instance qu’on leur épargnât cet affront.
X. Sa jeunesse. Sa dissimulation
(1) Il accompagna son père dans l’expédition de Syrie. (2) À son retour, il demeura chez sa mère ; et, lorsqu’elle fut exilée, il vécut auprès de sa bisaïeule Livia Augusta. Quoique à la mort de celle-ci, il portât encore la robe prétexte, il en fit l’éloge funèbre à la tribune aux harangues. (3) Puis il se rendit auprès de son aïeule Antonia. À vingt et un ans, il fut appelé à Caprée par Tibère, et dans un même jour il prit la toge et se fit raser la barbe, sans recevoir aucun des honneurs qui avaient accompagné ses frères à leur entrée dans le monde. (4) Il n’y eut sorte de pièges qu’on ne lui tendît pour lui arracher des plaintes ; mais il ne s’y laissa jamais prendre. Il ne parut pas s’apercevoir du malheur des siens, comme s’il ne leur fut jamais rien arrivé, et dévorait ses propres affronts avec une dissimulation incroyable. Sa complaisance pour Tibère et pour ceux qui l’entouraient était telle, que l’on a dit de lui, avec raison, qu’il n’y avait point eu de meilleur valet ni de plus méchant maître.
XI. Ses inclinations basses et cruelles
(1) Toutefois, dès ce temps-là même, il ne pouvait cacher ses inclinations basses et cruelles. Il assistait avec une curiosité extrême aux supplices des condamnés. La nuit, il courait les tavernes et les mauvais lieux, enveloppé d’un long manteau, et la tête cachée sous de faux cheveux. Il était passionné pour la danse et le chant du théâtre. Tibère ne contrariait pas trop ces goûts, espérant qu’ils pourraient adoucir son caractère farouche. (2) Le subtil vieillard le connaissait à fond, et quelquefois il disait tout haut : « Caius ne vit que pour ma perte et pour celle de tous. J’élève une hydre pour le peuple romain, et un Phaéton pour l’univers."
XII. Il est soupçonné d’avoir fait périr Tibère
(1) Peu de temps après il épousa Junia Claudilla, fille de M. Silanus, l’un des plus nobles Romains. (2) Nommé augure à la place de son frère Drusus, avant d’en exercer les fonctions, il passa au pontificat. Tibère, alors privé de tout autre appui, et se méfiant de Séjan, dont il se défit bientôt après, éprouvait ainsi le caractère et l’attachement de Caius, qu’il approchait du trône par degrés. (3) Pour être plus assuré d’y monter, Caius, quand il eut perdu Junie à la suite de couches, séduisit Ennia Naevia, femme de Macron, chef des cohortes prétoriennes, et s’engagea par serment et par écrit à l’épouser, s’il parvenait à l’empire. (4) Dès qu’il eût ainsi gagné Macron, suivant quelques historiens, il empoisonna Tibère. L’empereur respirait encore quand il lui fit enlever son anneau ; et, comme il paraissait vouloir le retenir, il fit jeter sur lui un coussin, et même l’étrangla de sa propre main. Un affranchi, qui s’était récrié sur l’atrocité de l’acte, fut aussitôt mis en croix. (5) Ce récit paraît d’autant plus vraisemblable, que Caligula lui-même se vanta, selon quelques auteurs, sinon d’avoir commis ce parricide, du moins de l’avoir projeté. Il se glorifiait souvent, pour faire voir son attachement à sa mère et à ses frères, d’avoir voulu les venger. Il était entré, disait-il, avec un poignard dans la chambre de Tibère endormi ; mais la pitié l’avait retenu ; il avait jeté son arme, et s’était retiré sans que Tibère, quoiqu’il s’en fût aperçu, osât ni le poursuivre ni le punir.
XIII. Tous les vœux l’appellent à l’empire
(1) En montant ainsi sur le trône, il combla les vœux du peuple romain ou plutôt de l’univers. Il était cher aux provinces et aux armées qui l’avaient vu enfant, et cher à tous les habitants de Rome qui honoraient en lui le fils de Germanicus et plaignaient les
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