Vikings
d’une heure.
— Herr Haraldsen, je suppose, fît-il de manière un peu trop martiale. Laissez-moi me présenter, je suis l’Obersturmführer Ludwig Storman. On m’a beaucoup parlé de vos travaux passionnants sur les Vikings.
— Vous me semblez bien présomptueux jeune homme, répondit avec ironie le vieil homme. Demeurer debout sous Yggdrasil, le plus vénérable des arbres. Savez-vous que ce chêne soutient toute la cosmogonie de nos ancêtres vikings ? C’est autour de lui que cohabitaient les trois mondes : Asgard, la résidence des dieux, Midgard, vouée aux hommes et Utgard pour tous les autres...
Storman sourit, amusé par cette entrée en matière à la fois anticonformiste et savante. Il s’assit à son tour.
— C’est bien ce que je disais, répondit-il, vous êtes passionnant !
— Laissez-moi tout d’abord vous dire que je sais ce que vous recherchez en m’invitant ici. Je ne suis qu’un vieil homme un peu vaniteux, qui apprécie que l’on prête attention à ses travaux. Probablement devrais-je être dans mon pays, à travailler dans mon petit bureau de l’université d’Oslo et ne pas fréquenter le diable...
L’officier SS comprit le sens des paroles du professeur. Il tenta de se départir de son attitude martiale coutumière pour le réconforter.
— Même si nos motivations sont différentes, nos objectifs convergent, Herr professeur. Nous voulons tous révéler la vérité sur nos ancêtres, percer les secrets de ces peuples que l’archéologie a trop longtemps cantonnés aux oubliettes de l’Histoire.
— Wolfram Sievers m’a dit que vous reveniez de Rouen, le coupa Haraldsen qui semblait ne pas écouter ce que son interlocuteur lui racontait. Que nous ramenez-vous donc de neuf concernant ce bon vieux Rollon ?
Storman avait beau essayer de se départir de sa rigueur habituelle, la franchise du professeur scandinave le déstabilisait quelque peu. Jusqu’où Sievers lui avait-il dévoilé le but de son voyage ? Il décida de jouer franc-jeu, du moins partiellement.
— J’ai trouvé un sarcophage vide, lâcha-t-il en examinant le vieil homme pour saisir la moindre de ses réactions. Contrairement à ce que tout le monde raconte, le premier duc des Normands ne repose pas dans sa cathédrale...
Haraldsen soupira profondément. Il leva la tête pour contempler les branches du chêne qui lui avait offert sa fraîcheur.
— Je dois vraiment être un vieil homme pour devenir aussi faible, répondit-il. J’ai envie de vous donner quelque chose... Mais s’agit-il encore une fois de vanité ou de simple curiosité ?
Le professeur parut hésiter un instant. Il regarda encore son arbre, puis son interlocuteur avant de poursuivre :
— Puisque je suis ici et que vous me semblez vouloir jouer franc-jeu, je ferai donc de même. Je suis occupé à annoter un récit sur lequel je travaille depuis plusieurs années. Vous verrez, je lui ai donné l’apparence d’une saga nordique, mais il s’agit en réalité d’un ouvrage sérieux qui repose sur les recherches que je mène depuis longtemps sur les Vikings. Il comporte assez de mystères pour laisser quelques portes entrouvertes.
— Je verrai ? Cela signifie que vous me le donnez ? s’étonna Storman.
Haraldsen eut un petit rire étrange. À la fois gêné et légèrement méprisant.
— Vous le donner ? Vous perdez la raison, jeune homme. Non, je vous le prête. Lisez-le cette nuit. Vous comprenez le norvégien, je suppose ? Rendez-le-moi demain, vous me direz ce qu’il vous a enseigné. Ou les portes qu’il vous aura donné envie de pousser.
Le vieil homme tendit la liasse de feuilles à Storman. L’officier s’en empara avec précaution et remercia le professeur d’un geste de la tête qui avait retrouvé toute sa rigueur martiale. Le manuscrit était lourd. Une nuit ne serait assurément pas trop longue pour en venir à bout.
D EUXIÈME PARTIE
Hròlfr {3} le Marcheur, une Saga Normande
Manuscrit du docteur Olav Haraldsen,
professeur d’histoire à l’Université d’Oslo
Livre Premier
E N CETTE BELLE MATINÉE DE JUIN 911, les barons du Roi s’étaient réunis dans la salle du Conseil. Charles III,celui dont la postérité allait se souvenir sous le surnom du « Simple », avait le front barré d’une large ride qui, chez lui, trahissait une profonde préoccupation. Fidèle à son habitude, le souverain prenait le temps d’écouter chacun de ses conseillers avant de
Weitere Kostenlose Bücher