Vikings
devant le souverain.
— Je ne lui veux point de mal, sanglota-t-elle. Mais j’aspire à revenir sur la terre de mes ancêtres, à retrouver la voie de Dieu et surtout à honorer la mémoire de mes parents.
— Tu comptes les venger ? coupa le Roi.
— Pour pouvoir parler de vengeance, il faut être en position de force, ce qui n’est point son cas.
Le marquis de Neustrie avait prononcé ces dernières paroles sur un ton sombre, presque menaçant. Charles aurait pu en prendre ombrage, mais il savait que son vassal avait raison. Si Hròlfr était en France, c’est qu’il projetait de piller les terres royales. Et ce n’était pas la présence de la frêle Geneviève qui pourrait inverser le cours des choses.
Livre Deuxième
L A TROUPE AVAIT PRIS la route dès l’aube pour ne pas avoir à souffrir de la chaleur. En effet, si l’on avait coutume de dire que les hommes du Nord ne nourrissaient aucune crainte pour les dangers terrestres, ils fuyaient le soleil dont ils pensaient qu’il avait pour effet d’amollir les âmes et de diminuer la force du guerrier. Deux hommes chevauchaient en avant. Le premier portait un casque orné d’entrelacs, une tunique rouge visible à cent lieues et portait le nom de Hròlfr. Ce Norvégien était le fils de Rögnvaldr de More, qui avait été jadis banni par le roi Harald aux beaux cheveux. La troupe qu’il commandait était largement composée de guerriers danois, mais parmi ses hommes se comptaient aussi quelques Anglo-Saxons, car Hròlfr avait séjourné à plusieurs reprises en Angleterre.
En guidant son cheval, le chef se souvenait des faits d’armes de ses frères de sang. Combien de fois n’avaient-ils pas pris la mer pour aller combattre leurs ennemis ? Ceux-ci pensaient que les Vikings étaient seulement guidés par leur soif de violence et leur désir de richesse. C’était mal connaître la réalité d’un peuple qui menait là-bas, dans les brumes du Nord, une vie des plus difficiles. Un peuple qui souffrait de la faim, du froid et de la pauvreté. Mais aussi un peuple guerrier qui n’avait qu’à prendre la mer et dégainer l’épée pour cueillir des richesses qui lui étaient interdites. Hròlfr songeait au fier Ragnar qui, un demi-siècle plus tôt, avait accepté l’offre de ce couard roi des Francs en empochant quelques milliers de livres pour préserver sa bonne ville de Paris. Quelle naïveté ! Un jour ou l’autre, un autre fils du Nord finirait bien par mettre à genoux l’orgueilleuse cité. Même s’il venait d’y subir, lui aussi, un échec, Hròlfr se promettait de conquérir la ville à la force de son épée. Le chef se souvint aussi de son arrivée en France, de ses premiers combats et de l’installation de ses hommes dans la région de la basse Seine. Lui qui avait toujours fait parler la langue des armes avait été contraint d’apprendre celle, beaucoup plus subtile, de la politique. Il avait conclu un accord avec l’archevêque de Rouen qui avait accepté le principe de la cohabitation avec les hommes du Nord en échange d’une garantie de paix. Toutefois, la cohabitation relativement harmonieuse n’avait pas éteint la soif de combats d’un peuple qui voyait dans les rapines son principal moyen de subsistance.
L’autre homme qui cheminait au-devant des troupes portait le nom de Skirnir le Roux. Cousin de Hròlfr, cette véritable force de la nature avait l’habitude de suivre son parent sur la route des batailles, même si son caractère s’accommodait difficilement de celui du chef. Hròlfr avait beau être un redoutable guerrier, il n’en était pas moins rompu à l’art de la négociation. Pour sa part, Skirnir estimait que toutes ces discussions n’étaient que vaines paroles et temps perdu. Aux babillages, il préférait le son viril des lames heurtant les boucliers. Il était un digne fils des dieux d’Asgard et de Midgard et à ce titre, il se sentait prêt à mourir pour eux. Skirnir vouait le mépris le plus profond envers ses ennemis et principalement les moines chrétiens assis sur leurs richesses. Jamais il ne réussirait à comprendre comment des hommes s’étaient mis en tête d’adorer un dieu frêle et supplicié sur une croix. C’était l’image d’un vaincu que ces fous voulaient leur donner en exemple ! Les dieux vikings, eux, montraient l’exemple aux hommes. Ils n’hésitaient pas à combattre, à ripailler et à faire l’amour. Là où Skirnir ne voyait que faiblesse et
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