Vikings
longue fibule d’argent ciselée en forme de tête d’oiseau qui retenait les deux pans de l’habit.
— Je vous présente mes hommages, Sire, dit la jeune femme à voix basse.
Charles III n’en croyait pas ses yeux. Il se leva de son trône, rajusta sa cape et caressa machinalement sa lourde broche d’or cloisonnée d’émaux avant de s’avancer vers la jeune fille. Il la regarda avec curiosité et la détailla sous tous les angles en tournant autour d’elle. Le monarque n’aurait pas agi autrement s’il avait été question pour lui de choisir un nouveau cheval pour la chasse. Il se figea devant elle, lui prit le menton entre le pouce et l’index et révéla enfin le fond de sa pensée.
— Quel extraordinaire trésor nous apportes-tu là, Robert ! Cette femme semble appartenir aux peuplades du Nord et pourtant, elle parle notre langue. J’étais convaincu que ces barbares étaient incapables de nous comprendre...
— Oui, Sire, répondit le marquis de Neustrie avec empressement. Mais cette jeune fille n’est pas comme les autres. Elle va vous raconter elle-même la raison de ce surprenant prodige.
La jeune fille baissa timidement la tête. Le Roi la regarda avec un étonnement d’où le désir n’était pas absent.
— Parle, lui dit-il, c’est le Roi qui te l’ordonne.
— Mon vrai nom est Geneviève et je suis originaire des côtes de la Manche. Alors que je n’étais encore qu’une enfant, mon village, qui jouxtait une grande et riche abbaye, a fait l’objet d’un raid viking sanglant. Les hommes et les vieillards ont tous été massacrés jusqu’au dernier. La plupart des femmes ont été violées et égorgées après avoir terriblement souffert. Ensuite, quelques rescapées et de nombreux enfants ont été embarqués avec les agresseurs pour devenir esclaves dans leurs lointains royaumes du Nord.
Le Roi parut très intéressé par l’histoire de Geneviève. Il la pressa de poursuivre, comme s’il ne pouvait souffrir aucun retard dans la relation de son récit.
— Je suis donc devenue une simple esclave, poursuivit-elle. Au fil du temps, la petite fille que j’étais a fait la place à une jeune femme. J’ai constaté que les hommes posaient de plus en plus souvent les yeux sur moi. Je ne comprenais pas encore pourquoi, mais peu à peu, mon quotidien était devenu moins pénible. Un jour, mon maître me présenta à un seigneur très respecté par son peuple, un dénommé Björn. Il me racheta et puis il...
Sentant la gêne de la jeune femme, le marquis de Neustrie vint à son aide.
— Il la prit pour femme, précisa-t-il.
— Oui, continua Geneviève. Je m’appelai dès lors Freya et je devins l’épouse d’un des chefs les plus craints des peuples du Nord. Björn se révéla être un très bon époux pour moi, mais cette période de bonheur fut malheureusement de courte durée. Un jour, alors qu’il menait une rude expédition en pays d’Irlande, il mourut au combat. Au pays, certains voulurent me faire porter le poids de cette mort. En qualité d’étrangère, ils m’accusèrent de lui avoir porté malchance... Mais il n’en était rien. Björn était tombé dans une de ces embuscades que préparent les moines irlandais qui ont pour coutume de poster de redoutables vigiles au sommet de leurs hautes tours de pierre lorsqu’ils se sentent menacés par les Vikings.
Geneviève semblait revivre chacun de ces moments en les racontant. En l’espace d’un battement de cils, sa voix passait de la gaieté à la gravité, du bonheur au désespoir. Et chaque fois qu’elle se taisait, le silence le plus profond régnait dans la salle du Conseil.
— Les hommes du peuple de mon époux voulurent me sacrifier, mais je réussis à m’enfuir, murmura-t-elle. Heureusement, une vieille servante de Björn m’avait prise en amitié. Malgré les risques, cette femme me permit de quitter sa maison, la veille de mon châtiment. J’étais perdue et désemparée. J’ai alors décidé de me placer sous la protection d’un autre chef, celui que l’on appelait Hròlfr le Marcheur. Björn m’avait toujours parlé de lui comme du plus digne des hommes. Il ne se trompait pas, car Hròlfr a été bon pour moi. Il m’a protégée et m’a offert de l’accompagner en France...
— Il a été bon avec toi et tu es venue ici pour le trahir ? questionna le roi Charles avec une voix teintée de reproche.
Comme si la honte l’envahissait, Geneviève baissa les yeux
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