Vikings
rapiner toujours plus loin pour reconstituer les réserves.
Hròlfr avait été le premier à douter de la pertinence de ce siège, mais en sa qualité de chef, il devait en assumer toute la responsabilité. Loin de se sentir affaibli par l’échec qui s’annonçait, Skirnir le Roux avait encore accentué le poids des reproches à l’égard de son cousin. Il le tenait pour responsable de tous les atermoiements qui les avaient menés jusqu’à cette déroute. Ce soir-là, la nouvelle qu’il venait d’apprendre l’avait mis dans une colère noire. Il se rendit sans attendre auprès du chef.
— Comment oses-tu ? cria-t-il en entrant dans sa tente après avoir jeté à terre le guerrier qui montait la garde et tentait de lui barrer le passage. Tu nous as conduits à la déroute et à présent, tu veux lever le siège. Aurais-tu oublié qu’un Viking ne se rend jamais ?
— Respecte ton chef, lui ordonna Hròlfr. Et obéis à mes décisions, car il n’y a pas d’autre issue pour nous dans cette mauvaise guerre. Le combat de Chartres n’est pas le nôtre. Opérons un repli et nous reviendrons plus forts. D’ailleurs peut-être est-il temps de convenir d’une trêve.
De rage, Skirnir jeta son bouclier à terre. Ce qu’il venait d’entendre dépassait tout ce qu’il avait pu imaginer. En serrant les poings, il s’approcha de son cousin qui ne broncha pas. Hròlfr eut beau soutenir son regard haineux, il ne réussit pas à lui faire baisser les yeux.
— Une trêve ? cria Skirnir. À l’exception des dieux, nous ne craignons aucun adversaire. Nul Viking ne connaît la peur ! Si les Francs paraissent plus forts aujourd’hui, c’est parce que les dieux nous font payer le prix de nos trop nombreuses faiblesses vis-à-vis de nos adversaires. Il faut retrouver notre ancienne vigueur : brûler les églises, piller les monastères et exterminer sans pitié tous ceux qui se mettront en travers de notre route. Si nous décevons encore Odin et Thor, ils nous puniront pour nos lâchetés.
Hròlfr ne quitta pas son siège. Il attendit que Skirnir finisse de parler puis il lui répondit avec un calme qui tranchait avec les éructations de son cousin.
— Skirnir, lui répondit-il sagement, je comprends ta colère et sache que je la partage. Je désire plus que n’importe qui la victoire de notre peuple. Mais j’ai eu le temps de réfléchir, ces dernières semaines. Il est peut-être temps d’interrompre notre voyage pour ouvrir une ère nouvelle. Nous sommes en position de force pour négocier avec nos ennemis et faire valoir nos droits sur les terres franques que nous occupons déjà.
— Négocier avec le petit roi Charles ? Ce lâche ? manqua de s’étrangler Skirnir. Mais pourquoi ne pas aller lui manger dans la main, tant que tu y es ? Tu as oublié le message de nos dieux ? Il est pourtant clair : « Le jour où les hommes du Nord trahiront la foi de leurs ancêtres, le temps du Rangarök sera venu, le terrible temps du Crépuscule des Dieux. »
Bien sûr, Hròlfr n’ignorait pas la sombre prédiction. Mille fois, il avait entendu le récit de ces catastrophes naturelles jamais vues qui annonceraient trois hivers redoutables sans été. Il connaissait dans les moindres détails le récit du monstre géant qui engloutirait le soleil brûlant d’un seul coup de gueule. Alors qu’il n’était encore qu’un enfant, il avait tremblé de nombreuses fois à l’évocation de la bataille des dieux et des géants qui causerait la disparition du monde dans un grand incendie. Certes, Hròlfr connaissait la terrible menace, mais il était convaincu qu’il ne faisait pas courir un pareil risque à son peuple. Il en était intimement persuadé, mais il savait qu’il ne servait à rien de tenter de rallier son volcanique cousin à son opinion.
— Prends garde, Hròlfr le Marcheur, poursuivit Skirnir le Roux sur un ton de plus en plus menaçant. Ton rôle de chef ne te place pas au-dessus de nos lois. Je vais saisir le conseil. Nous te contraindrons à recourir à l’Arme de Dieu pour nous apporter la victoire.
— Jamais ! répliqua Hròlfr à la vitesse d’une flèche qui se fiche dans sa cible.
Se pouvait-il que Skirnir fût aussi furieux pour brandir une telle exigence ? Hròlfr se leva enfin de son siège et ce fut pour exiger que son cousin quittât la tente. Même s’il n’en laissa rien paraître, Skirnir était satisfait. Il avait réussi à déstabiliser son cousin.
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