Vikings
couardise chez les chrétiens, il trouvait force et honneur chez les dieux nordiques. Il suffisait de songer à Odin le borgne à la longue barbe grise. Selon son humeur, le père des dieux pouvait terrifier les hommes ou leur venir en aide. Rusé, il n’hésitait pas à user de magie ou même de travestissement pour parvenir à ses fins. Ce n’était assurément pas le genre de divinité à se laisser crucifier pour racheter de prétendus péchés. Skirnir invoquait aussi Balder le sage, Heimdall le veilleur du monde ou encore Frey, le dieu bienfaiteur de la fécondité. Néanmoins, sa préférence allait au puissant Thor le guerrier. Il se sentait proche de ce dieu de la guerre et de la force qui n’hésitait pas à prendre le parti du peuple et des paysans, pourvu qu’ils fussent braves et méritants au combat. Quand la nuit tombait, Skirnir s’endormait souvent en pensant à la divinité héroïque qui brandissait son marteau pour venir à bout de ses ennemis dans un grand craquement de tonnerre.
Les deux hommes étaient issus du même peuple et de la même tradition, mais ils ne partageaient pas la même conception du combat. Hròlfr jugeait inutiles et risqués les assauts qui se terminaient en grands bains de sang. Il était avare de la vie de ses guerriers. Skirnir, au contraire, était enivré par l’odeur âcre du sang versé sur la terre de l’ennemi. Quand il parvenait à la fin d’une bataille, il lui arrivait même souvent de regretter de ne pas faire partie des victimes du jour. Le sacrifice de sa vie constituerait à ses yeux la plus belle preuve de son courage. Certes, les dieux finiraient bien par le rappeler, mais il se demandait quand arriverait enfin ce jour de gloire.
— Nous n’avons que trop tardé, lâcha Skirnir avec agacement. Mon épée me démange depuis que nos drakkars ont débarqué dans la vallée de la Seine.
— Tu sais ce que je pense de ton impatience, Skirnir le Roux, répondit calmement Hròlfr. Tu as eu ce que tu désirais : nous sommes en route pour Chartres et prêts à piller les richesses de la ville. De cette manière, nous montrerons aux troupes du roi de France que nous n’avons pas peur de lui.
Skirnir saisit sa gourde d’hydromel dont il but une généreuse rasade. Il se passa la manche sur la bouche pour s’essuyer et fit une grimace dubitative.
— Il était temps ! grogna-t-il. J’ai parfois l’impression d’être un chien tenu en laisse devant un gros gigot.
— Je te fais confiance, plaisanta Hròlfr. En pareil cas, tu aurais trouvé un moyen pour rompre la chaîne qui te retenait.
Skirnir partit d’un grand éclat de rire. C’était là un autre trait de caractère du guerrier qui, d’un moment à l’autre, pouvait passer de la rage la plus profonde à la joie la plus communicative. Ragaillardis, les deux hommes poursuivirent leur route à la tête de leurs troupes. Derrière eux marchaient plusieurs centaines d’hommes du Nord, bien armés de leurs longues épées aux lames gravées de runes et protégés par leurs skjôldr, les boucliers de tilleul circulaire qu’ils avaient coutume d’accrocher sur le plat-bord de leurs bateaux. Ces guerriers, également équipés de lances et de spjot, les redoutables épieux ferrés, étaient résolus à suivre leur chef jusqu’au Valhalla {4} .
Livre Troisième
Quatre semaines plus tard
L ES DIX CAVALIERS s’étaient engagés dans le sous-bois à vive allure. La joie de la troupe était manifeste, tant sa course folle promettait d’être fructueuse. Le flair des meilleurs chiens de chasse de la cour les mettait à l’abri de toute déconvenue et il y avait fort à gager qu’il devait y avoir un bien joli gibier à traquer sous ces frondaisons. La troupe royale pressa les chevaux et les hommes sortirent arcs et épées pour donner l’estocade. La vision qui s’offrit à eux ne les déçut pas. Il y avait là, pris au piège dans un dense taillis, un grand cerf, de la plus belle espèce, un dix-huit cors.
Le roi Charles prit la tête des opérations et décocha une flèche qui alla se planter dans le poitrail de l’animal. Accablé par les chiens qui aboyaient et montraient les crocs, le seigneur des forêts tenta une dernière ruade avant de plier une patte et de commencer à chanceler. Le Roi sauta de cheval et dégaina son épée. Il s’approcha de l’animal, déjà assommé par la douleur et lui planta la lame dans le flanc. Il leva ensuite son épée ensanglantée vers le
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