Vikings
forces l’abandonner. Une douloureuse sensation de froid s’empara d’elle et elle tomba à genoux en fondant en larmes. Hròlfr la releva avec douceur et la serra contre lui. Dans sa détresse, Popa voulait profiter du moindre instant de cette étreinte dont elle aurait voulu qu’elle ne s’interrompît jamais. Le souffle de son mari irradiait la naissance de son cou d’une chaleur bienfaisante.
— Ne pleure pas, murmura Hròlfr. Ne te trompe pas de camp. Quand on est femme de chef, il faut choisir ses alliés comme si on partait en campagne de guerre. La moindre erreur peut être fatale.
Les derniers mots du Viking pouvaient être compris comme une menace à peine déguisée. Néanmoins, Popa ne les ressentit pas comme tels. Elle s’approcha encore de lui pour que chaque partie de son corps épousât parfaitement la moindre parcelle de corps de son époux. Sa décision était prise, elle ne trahirait point.
— Méfie-toi, Hròlfr, se décida-t-elle enfin à dire. Ils sont nombreux à te vouloir du mal. Ils n’acceptent pas que tu puisses renier nos dieux pour quelques arpents de terre.
Hròlfr soupira d’aise. Il s’éloigna en même temps de Popa qui ressentit à nouveau la même impression de froid. Le Viking la regarda avec la bienveillance d’un père fier de son enfant qui a choisi de demeurer dans le droit chemin.
— J’apprécie ton geste, répondit Hròlfr. Je craignais d’autant plus tes paroles que je sais ce que l’on dit sur mon compte. Je sais ce que Skirnir le fourbe a essayé d’obtenir de toi et je sais ce qu’il te coûte de défendre Freya. Dans quelques jours, nous signerons le traité avec le roi Charles. Il s’agira d’une grande victoire pour ceux de notre sang. Mais avant, je vais réunir les hommes les plus influents de notre peuple afin de leur signifier ma décision.
Hròlfr le Marcheur tint parole. Il réunit en fin d’après-midi la vingtaine d’hommes les plus influents parmi ses guerriers. S’il pouvait compter sur la fidélité de certains d’entre eux, il savait qu’il devait se méfier d’autres. Il devait notamment compter avec Skirnir le Roux qui avait été bien évidemment invité à la réunion. Pour lui faire comprendre que ses manoeuvres ne lui avaient pas échappé, Hròlfr le prit à part quand il entra dans sa tente. Le chef lui murmura à l’oreille une phrase qui laissa son cousin sans voix.
— Je tenais à te remercier, Skirnir, dit-il sans sourire. Grâce à toi, j’ai pu constater la loyauté de mon épouse. Crois-moi, je saurai m’en souvenir.
Skirnir comprit toute l’ironie des propos de son cousin puisqu’il n’ouvrit plus la bouche pendant toute la réunion.
— Mes compagnons, commença Hròlfr, je vous ai réunis pour vous annoncer ma décision. Je signerai avec le roi Charles un traité solennel selon lequel la France nous cédera les évêchés de Rouen, d’Évreux et Lisieux. Cette terre comprise entre l’Epte et la mer portera le nom de Normannie, la terre des hommes du Nord.
Hròlfr s’interrompit un court instant avant de reprendre son discours. De larges sourires illuminaient la plupart des visages. Le chef savait que la deuxième partie risquait d’être moins bien reçue.
— En échange, poursuivit-il, nous nous engageons à ne pas attaquer les troupes françaises et à défendre nos terres de l’irruption d’autres peuples du Nord. Nous obtiendrons aussi une terre à piller, à savoir la Bretagne.
Hròlfr fit une nouvelle pause au moment précis où tous attendaient qu’il parle du sujet qui cristallisait toutes les appréhensions. Une fois encore, il pointa son regard sur les membres de l’assistance et poursuivit son discours.
— Nous nous engagerons aussi à nous convertir à la foi de cette terre qui est la religion du Christ. Cette promesse constitue une condition non négociable à la cession de la terre de Normannie.
Cette fois, il perçut un frémissement parmi les grands de son peuple. Ce mouvement n’avait rien d’un signe d’adhésion à ses paroles. Le chef connaissait bien ses guerriers et conclut en baissant imperceptiblement la voix.
— Néanmoins, nul ne peut exiger d’un homme qu’il renie ses croyances. Nous vénérons de nombreux dieux. Peut-être cohabiteront-ils bien avec le nouveau qu’on nous impose. Chacun jugera comment il pourra rester fidèle à ses divinités ancestrales tout en se conformant aux coutumes de sa nouvelle terre.
Un renard... Un renard
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