Voltaire
Pendant son séjour à Cirey, il a, sinon achevé, du moins préparé et composé en grande partie un Essai sur les Mœurs qui est une histoire universelle et le Siècle de Louis XIV qui sera comme le couronnement de cette histoire. Plus tard, devenu l'historiographe du Roi, il écrira un Louis XV.
De l'Essai sur les Mœurs, on peut dire beaucoup de mal et beaucoup de bien. Il faut admirer que Voltaire, l'un des premiers, ait su faire leur place aux civilisations arabe, chinoise, et à l'étude des religions comparées, alors proscrite. Mais le livre est plein d'erreurs, les unes inévitables parce que la vérité (ou du moins notre vérité) n'était pas connue, les autres moins excusables. Montesquieu dit que Voltaire écrit l'histoire pour glorifier son propre couvent, comme n'importe quel Bénédictin; c'est vrai. Dans l'Essai sur les Mœurs, il prêche à chaque page sa religion, qui est l'antireligion. Partout on retrouve ses idées fixes : a) prouver que Bossuet s'est trompé en expliquant l'histoire universelle par les desseins de la Providence. Pour Voltaire elle doit être expliquée, non par les causes finales, mais par le jeu aveugle des petites causes efficientes ; b) montrer que l'histoire des hommes a été une suite assez folle de crimes et de malheurs, mais que l'on approche du temps où la Raison viendra mettre bon ordre à tout cela ; c) éliminer le surnaturel, et là, lecritérium de Voltaire ne semble pas sûr. Pour lui, est faux tout ce qui n'est pas vraisemblable; le malheur est que la zone du vraisemblable n'a pas des frontières très fixes.
La grande faiblesse de Voltaire historien, c'est que, philosophe intellectualiste, il ne comprend pas les besoins sentimentaux et mystiques d'autres hommes. Il ne voit pas que, sous la multiplicité des sectes et des rites, il reste quelque chose de commun qui est le besoin de rites. Impuissance d'autant plus curieuse que Voltaire analyse admirablement ce qu'est l'héritage commun des hommes, quand il s'agit de la famille, de l'amour ou de l'amitié. « Voltaire a bien compris que le Roi n'était pas la nation, qu'un congrès de diplomates ne nous faisait pas connaître les habitudes d'un boutiquier, ou les révoltes d'un paysan, mais il a mal compris qu'un boutiquier de Bagdad n'était pas un boutiquier du Marais, et qu'un paysan des Croisades ne se révoltait pas pour les mêmes raisons qu'un agriculteur, sujet de Louis XV 1 . » Dans le Siècle de Louis XIV, on ne trouve aucune de ces faiblesses. Il s'agit d'un temps qu'il a bien connu ou dont il a vu les acteurs. Là il se montre le premier des grands historiens modernes.
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Pendant le séjour à Cirey, pour se consoler de l'attitude hostile de la Cour de France, Voltaire avait pu goûter une amitié royale, celle du prince Frédéric de Prusse.
Frédéric avait été élevé par des réfugiés français. Sondésir le plus vif était de paraître lui-même grand poète et grand prosateur dans notre langue. Ce n'était pas un vœu ridicule, car il l'écrivait bien et ne manquait pas d'esprit. Toutefois il savait qu'il y faisait quelques fautes et que ses vers en étaient gâtés. Il est naturel qu'il ait éprouvé une idolâtre admiration pour un homme qui semblait grand dans tous les genres et qui était à la fois le meilleur poète épique, le meilleur poète tragique, le meilleur épistolier et le meilleur historien de son temps.
Un jour de 1736, Voltaire reçut une lettre : « Monsieur, - Quoique je n'aie pas la satisfaction de vous connaître personnellement, vous ne m'êtes pas moins connu par vos ouvrages. Ce sont des trésors d'esprit. » Une correspondance s'engagea, d'une grande tendresse. « Ne croyez pas, écrivait le jeune Frédéric, que je pousse mon scepticisme à outrance. Je crois par exemple qu'il n'y a qu'un Dieu et qu'un Voltaire dans le monde. » Voltaire répondait que les vers français de cet héritier d'une couronne d'Allemagne étaient « très jolis, très bien faits et du meilleur ton du monde ». « Les épithètes ne nous coûtaient rien », dira-t-il plus tard en parlant de cette correspondance.
En 1740, Frédéric devint Roi. Ce fut une grande émotion parmi les philosophes que de penser qu'il y avait sur un des trônes de l'Europe un prince « éclairé » qui allait mettre leurs maximes en action et qui se disait l'ami de Voltaire. Le nouveau roi aurait bien voulu attirer son maître à sa cour, mais il y avait un obstacle grave, qui était Mme du Châtelet.
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