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Voltaire

Voltaire

Titel: Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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visibles. Certes, j'étais sale, je n'en doute pas, mais je crois qu'il était cruel. »
    Trollope se souvient de ce sentiment parce qu'il a été très vif, et souvent ainsi l'enfance n'apparaît à l'homme que comme une suite de très rares épisodes, ceux qui ont produit une impression si violente que le choc nerveux nous ébranle encore après tant d'années. C'est pour cela que les enfances des temps de guerre ou de révolution laissent des souvenirs plus riches que les enfances calmes et heureuses. Dans l'autobiographie de Benjamin Haydon, on voit la forte impression faite sur lui par la Révolution française et comment les petits garçons anglais s'amusaient, vers 1794, avec des guillotines en miniature, à couper vingt-cinq fois par jour la tête de Louis XVI.
    Quelquefois les souvenirs sont au second degré. Des parents ou des grands-parents nous ont raconté notre propre enfance, et nos souvenirs sont en réalité les souvenirs de leurs récits. Herbert Spencer qui, tout en écrivant son autobiographie essayait de s'observer en savant, dit très bien : « Pour les incidents de l'enfance, mes souvenirs ont pris cette forme secondaire qu'ils prennent presque toujours, je crois, à un âge plus avancé.Je me souviens simplement qu'il y eut un temps où je me souvenais. J'avais une petite sœur, Louise, plus jeune que moi d'un an, qui mourut à l'âge de deux ans. Mes jeux avec elle dans le jardin m'avaient laissé de pâles images qui survécurent longtemps. Longtemps aussi surnagea le souvenir de m'être perdu dans la ville où je m'étais égaré pour trouver la maison d'amis que j'aimais beaucoup, le résultat étant que le crieur public fut envoyé pour me chercher. Mais mon souvenir d'enfance le plus vif est celui d'avoir été laissé seul pour la première fois. Tout le monde était sorti, sauf la nourrice qui était chargée de moi. Elle profita de l'occasion pour sortir aussi, fermant la porte à clé et me laissant seul. Or, un soir par semaine, - il se trouvait que c'était le soir en question, - c'était la coutume de sonner un carillon sur les cloches de l'église de la Toussaint, à Derby. Tandis que je souffrais le martyre par cette première solitude, les cloches sonnaient gaiement et l'effet fut d'établir en moi une association si forte que pendant toute la première partie de ma vie, et même dans son adolescence, je n'ai jamais pu entendre ces cloches sans éprouver un sentiment de tristesse. »
    Oui, ce qui nous reste de notre enfance, ce sont des choses aussi petites que celles-là, des sentiments confus mêlés à des associations dont les causes sont devenues obscures. Cela est insuffisant pour expliquer l'individu déj si complexe que nous sommes tous à l'âge de six ou sept ans. De cette immense acquisition de vocabulaire, d'idées, de sentiments, de notre apprentissage du monde extérieur, des images successives de la société qui se forment dans notre esprit d'enfant, nous ne conservons presque rien. Aussi l'autobiographie de l'enfance est-elle presque toujours médiocre et fausse, même quand l'auteur est sincère.
    C'est d'ailleurs une raison pour goûter tout particulièrement les souvenirs de ceux qui ont eu la chance de conserver de ce temps une image fidèle de cette période de leur vie. J'ai déjà cité l'enfance de Tolstoï. Maurice Baring a décrit la sienne d'une façon charmante dans les Marionnettes de la mémoire, et j'aime aussi infiniment les premières pages de cette belle autobiographie, Apostat, de Forrest Reid.

    Le mécanisme de l'oubli fonctionne tout au long de la vie. Nos oublis ne sont plus aussi complets qu'au temps de l'enfance, parce que l'individu adulte est installé dans un cadre social, ce qui accroche ses souvenirs à des réalités fixes qui l'entourent et demeurent. Pourtant, s'il est complètement dépaysé, déraciné, des zones entières de sa vie peuvent être oubliées par lui de très bonne foi. Même dans les cas où il se souvient, le souvenir est incomplet. Supposons par exemple que j'essaie d'évoquer la mobilisation du mois d'août 1914. Je retrouve, il est vrai, quelques images, mais que représentent-elles ? Peut-être quelques minutes. Tout le reste, toutes les longues heures d'attente et d'angoisse se sont évanouies à jamais. Nous nous apercevons de notre puissance d'oubli quand nous retrouvons une note un peu détaillée prise par nous sur des événements dont nous avons été témoins. Alors, à la lecture de nos propres

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