Voyage au Congo
objet, aucun vêtement, aucune étoffe, aucun meuble – et, quand bien même il aurait de l’argent, rien à acheter ne se présente pour éveiller aucun désir.
13 novembre.
Vers 11 heures, nous sommes arrivés à Berberati. Pays tout différent ; même le ciel est changé, la qualité de l’air. Enfin l’on respire. Belle traversée de lande, savane aux graminées hautes de 3 mètres ; coupée par instants de reprises de forêt. Le pays assez puissamment vallonné ; la vue s’étend au loin. Le poste même, maison de l’administrateur, où nous couchons (abandonné faute de personnel), est fort bien situé, sur un revers de plateau, d’où l’on domine une vaste contrée ; mais, comme toujours dans ce pays démesuré, rien ne fait centre ; les lignes fuient éperdument dans tous les sens ; tout est illimité. Seuls, les villages parfois s’organisent. Ils ne sont plus établis seulement le long de la route ; des perspectives se creusent, et les cases sont groupées, non plus en ligne, mais forment divers petits hameaux, parfois charmants.
Le chef de Zaoro Yanga, premier village après Pakori, nous a fait cadeau d’un petit animal bizarre, enfermé dans cette sorte de panier en palmes tressées, qui sert ici de cage à poules. Je crois que c’est un « paresseux » {53} . Il n’a que quatre doigts aux pattes de devant ; l’index restant atrophié ; les pattes de derrière sont prenantes, les pouces nettement opposés au reste des doigts. Les vertèbres cervicales ont des apophyses aiguës, qui soulèvent la peau. Il a la taille d’un chat, une queue très courte ; les oreilles comme coupées. Très lent de mouvements. Très maladroit lorsqu’il marche sur le sol, et disgracieux, mais fort habile à grimper et à se suspendre la tête en bas, à n’importe quel support. Il mange volontiers ce que nous lui offrons, des confitures, du pain, du miel, et se montre particulièrement friand de lait concentré.
On est venu m’apporter un énorme « goliath » que j’ai le plus grand mal à faire entrer dans mon flacon de cyanure, si large que soit son embouchure.
Visite à la mission, où les Pères nous reçoivent très aimablement et nous régalent d’un lait excellent.
De retour au poste, nous observons longuement l’extraordinaire travail de la mouche-maçonne (celle-ci a l’étranglement de son abdomen jaune canari, et non noir comme l’espèce la plus commune). En quelques minutes, elle a complètement muré une araignée dans l’alvéole de terre où elle l’avait forcée d’entrer. D’un coup de couteau, j’ai défait ce travail, découvrant, à côté de la grosse araignée, plusieurs petites ; quelques instants après, les dégâts étaient réparés. Le soir, je me suis emparé de la construction tout entière, la détachant avec peine d’une latte de bambou, où elle était fortement maçonnée. Le tout, gros comme un œuf de pigeon, formé de quatre alvéoles oblongues ; en terre dure comme de la brique, ou presque. Chaque alvéole que j’ai crevée contenait quatre ou cinq araignées assez petites, mais dodues ; toutes fraîches, et qui semblaient moins mortes qu’endormies ; parmi elles, un seul ver, de la taille et de l’aspect d’un asticot. Certainement, c’est là le garde-manger des larves, et je pense que la mouche-maçonne (n’est-ce pas un sphex ?) avait pondu, à côté des araignées, ou dans l’abdomen des araignées, un œuf, dont déjà le ver en question provenait. Malheureusement, ma vue baisse beaucoup, et je ne parviens plus à « mettre au point » les objets un peu délicats.
Magistrale engueulade de Marc à l’un des « gardes » du poste, qui s’est permis de gifler notre cuisinier.
14 novembre.
Sur l’aimable insistance du Père de la Mission, nous nous sommes décidés à demeurer à Berberati un jour de plus. Notre paresseux a trouvé moyen, pendant la nuit, de dénouer la ficelle qui lui tenait la patte et de s’enfuir. Après quelques recherches, on le retrouve juché sous le toit de la véranda. On nous envoie deux chevaux de la mission, où nous sommes attendus à déjeuner.
Il a fallu, ce matin, congédier nos quarante porteurs. Certains d’entre eux étaient de si bon naturel que les larmes me venaient aux yeux en leur disant adieu. Ceux-ci nous accompagnaient depuis Nola. L’un en particulier, une sorte de grand diable, l’air d’un Mohican, une plume du faucon que nous avions tué
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