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Voyage au Congo

Titel: Voyage au Congo Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Gide
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Nola, où a dû le rejoindre Blaud.
    Longues conversations avec M. Labarbe, qui remplace l’administrateur absent. Labarbe est un homme volumineux, au coffre sonore, à la voix chaude, vibrante et bien timbrée ; jeune encore, intelligent, très conscient de l’effet qu’il veut produire, et de celui qu’il produit. Parfois il porte l’index de la main gauche à son œil, pour indiquer qu’« il la connaît » et qu’« on ne la lui fait pas ». Comme pour justifier son nom, une épaisse barbe noire cache le bas de son visage. Il n’est aidé que par le doux M. Chambeaux ; anémié, demandant son retour à Bordeaux, où il doit retrouver sa femme et une petite fille de deux ans, qu’il ne connaît pas encore. Labarbe lui-même déclare qu’il en a assez, qu’il en a trop… Il demande en vain du secours. M. Staup, qui le précédait et a été déplacé, avait renvoyé l’« écrivain » de la circonscription, qui devait servir de secrétaire à l’administrateur, sous prétexte que sa femme à lui « tapait à la machine » ; à présent, plus moyen de s’en ressaisir ; il est obligé, lui, Labarbe, de tout faire lui-même. Et Antonetti qui parlait, à son passage, de « coup de balai » ! Il n’y avait déjà personne, et il voulait encore renvoyer du monde ! D’ailleurs c’était bien simple : il était résolu, lui, Labarbe, à laisser les papiers s’accumuler sur sa table ; on verrait bien ce que ça donnerait ; puisqu’on ne lui envoyait personne pour l’aider. Il avait laissé toutes ses affaires à Baboua d’où il venait d’être brusquement rappelé pour remplacer Blaud à Carnot ; il partirait dès demain pour les rechercher. Un poste de plus à l’abandon. Tout marchait à la déroute dans ce pays. Pas de médecins, pas de fonctionnaires. Le peu de monde qui restait encore était sur les dents et ne songeait plus qu’à partir. Oui, tout le monde fichait le camp : c’était la pagaïe. Dans ce sacré pays de la Haute-Sangha où personne ne voulait venir, on ne trouvait rien, pas le moindre objet, pas de vivres ; l’application stricte des tarifs douaniers faisait revenirla moindre denrée à des prix prohibitifs {56} Et que d’embêtements, de tracasseries !… On lui avait confisqué sa jumelle à la douane, à son dernier retour ; une jumelle qui l’avait accompagné partout et que tout le monde connaissait… parce qu’il avait égaré les reçus des droits payés précédemment et n’avait pu montrer les factures dénonçant le prix d’achat. On ne pouvait pas toujours conserver tous ses papiers, que diable !… D’ailleurs, ils n’avaient qu’à la garder, sa jumelle ; il n’irait même pas la réclamer à son départ…, etc.
    Nous nous sommes fait conduire en tipoye, hier – après une forte tornade (avec éclairs, tonnerre et tout le tremblement) que nous entendions vaguement à travers le sommeil de la sieste – à Saragouna, à une demi-heure de Carnot (amusante et un peu dangereuse traversée d’une très belle rivière, sur un pont chancelant et à demi ruiné). Nous doutions d’abord de la véracité de Psichari, qui situe à trois jours de Carnot cet « oasis de verdure », mais nous apprenons que le village a déménagé, comme tant d’autres ; les habitants ont brusquement abandonné leurs huttes pour les reconstruire à quelques jours de là. – Pourquoi ? – Parce que quelques morts leur avaient fait croire que l’emplacement était maudit, hanté, que sais-je… Les gens qui ne possèdent rien, et n’ont rien à quitter, n’ont jamais beaucoup de mal à partir.
    À noter : le brusque travail de désherbement sur lequel se précipitent toutes les femmes du village, à notre approche.
     
    Nous avons quitté Carnot ce matin, beaucoup plus tard que nous n’eussions voulu, ayant dû attendre plus d’une heure les nouveaux porteurs. Il était huit heures passées quand nous prenons le bac, au sortir de la ville. Trois fournées ; nous étions de la dernière, et pas très rassurés, car le courant est extrêmement rapide. À une heure de marche dans la steppe monotone (sorte de forêt clairsemée, d’arbres à peine un peu plus hauts que les herbes, très hautes et belles graminées qui les enveloppent, les noient et dont l’épais rideau constant arrête incessamment le regard) nous croisons un grand nombre de porteurs ; puis, escortés par des gardes armés de fouets à cinq lanières, une enfilade de

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