Voyage au Congo
de je ne sais quoi qui le rend difficilement respirable. Nous décidons de nous reposer ici tout un jour.
Je passe un temps considérable, ce matin, à apprivoiser mon paresseux, qui se montre extrêmement sensible à la caresse, et qu’il n’y a plus moyen de déloger de mon giron lorsqu’il s’y est blotti.
Hier, à dix kilomètres environ de Bafio, en pleine brousse, un exprès dépêché de Carnot est venu nous apporter le plus inattendu des courriers de France.
Carnot, 19 novembre.
Carnot ne ressemble en rien à ce que je l’imaginais.
Le bourg s’étale sur l’épaule de la colline d’où l’on domine le pays, par-delà la Mambéré ; mais le paysage reste informe ; immenses vagues d’un terrain couvert de forêts. Incertitude même de la pente générale, de la direction ; une sorte de difficulté d’option pour la répartition des eaux.
Le grand événement du 17 (avant-hier) ç’a été la rencontre de l’administrateur Blaud que vient de rappeler brusquement dans le pays (nous étions avisés de cela) une demande d’enquête administrative, à la suite d’un acte d’accusation lancé contre lui par la direction de la Forestière. Blaud est un gros garçon bien en chair, le teint frais, la face réjouie ; fils d’un pharmacien de Beaucaire ; il accuse 42 ans, mais ne paraît pas son âge. Nous l’avions précédemment rencontré, je l’ai dit, à notre passage à Boda. À fin de séjour, il repartait pour la France où l’attendaient sa femme et une fillette de six ans. Pendant le déjeuner que nous avions pris ensemble à la table du sinistre Pacha, Blaud nous avait dit qu’il poursuivait la Forestière pour infractions graves aux clauses du règlement et de la convention. Sitôt avisée de cette accusation, la Forestière prit les devants, et, après échange de télégrammes avec la direction de Paris, décida de discréditer Blaud. Le moyen est bien simple : l’accuser très fort et très haut d’avoir lié partie avec les commerçants libres et de s’être laissé corrompre par eux. Comment sinon pourrait-il trouver rien à redire à la Forestière ? Donc, avisés du rappel brusque de Blaud à Carnot (où l’administrateur-maire de Bangui, M. Marchessou, doit enquêter sur ses actes de service), puis de son retour vers Nola, nous savions que nous devions le rencontrer. Nous avions pris nos mesures pour le croiser à mi-route, à l’heure du déjeuner que nous espérions pouvoir prendre ensemble. Mais au moment de quitter Bafio, il y eut défection de porteurs, désordre et confusion, ce qui nous retarda de près d’une heure. Il était onze heures environ quand, à un détour de la route, brusquement, nos tipoyeurs et les siens se trouvèrent nez à nez. Nous étions en pleine savane ; les quelques arbres rabougris qui la parsèment ne fournissent qu’une ombre dérisoire… Blaud, plus désireux encore que nous de causer, proposa de revenir jusqu’au passage de la rivière où l’on a coutume de s’arrêter pour le repas. Ainsi fut fait. – Le site était merveilleusement bien choisi ; grands arbres sous lesquels l’eau coulait, rapide, abondante et si claire que j’eus bien du mal à résister à la tentation du bain. Il me semble par là communier plus intimement avec la nature… Bref, je me contentai d’un bain de pieds. On dressa la grande table de Blaud, trois couverts et tandis que le repas se préparait, Blaud sortit tout le dossier de son accusation. Je ne connaissais rien des faits que lui reprochait la Forestière, mais ne pouvais, après ce que j’avais vu et appris en cours de route, mettre en doute ceux que Blaud reprochait aux agents de la Compagnie ; de sorte que je souhaitais vivement qu’il n’eût pas, lui, prêté le flanc à la contre-attaque ; mais sur ce point je devais faire toutes réserves. Blaud semblait extrêmement affecté ; et vraiment il y avait de quoi, car la puissance et l’entregent de ces Grandes Compagnies sont formidables. Blaud nous apprit incidemment le changement du ministère et la prolongation du séjour d’Antonetti à Paris.
21 novembre.
Le chauffeur de Lamblin que nous retrouvons ici (celui qui nous menait à Bambio) où il est venu amener M. Marchessou, nous dit qu’en traversant Boda il a pu apprendre l’emprisonnement de Samba N’Goto et de son fils. Cependant Pacha est en tournée, et le sergent Yemba l’accompagne.
M. Marchessou n’est du reste plus à Carnot ; il enquête à
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