Voyage au Congo
nous accompagne le lendemain, et ne parle plus de son mal lorsqu’il comprend qu’il ne sera pas payé s’il refuse sa charge.
Ce matin, départ avant six heures.
À midi, arrêt à un très beau et grand village (Barbaza). Même forme de cases et même disposition d’icelles en petits groupements, sans ordre apparent, mais répondant aux mouvements du sol. Et peu à peu des sortes de sentiers se forment, presque des rues, bordées parfois de claires-voies, séparant les groupes de cases. Toujours ces grosses poteries noir vernissé, au sommet des toits.
Encore une étape beaucoup plus longue que celles entre Bambio et Nola (à la seule exception de la première, de Bambio à N’Délé). Partis d’Abba avant six heures, nous n’arrivons à Abo-Bougrima qu’à quatre heures, ne nous étant arrêtés qu’une heure pour déjeuner. La vue devient de plus en plus étendue, les vallées plus larges et profondes, les plis de terrain plus accentués.
Au premier village où nous nous sommes arrêtés après Abba (n’était-ce pas déjà Barbaza ?) très grand, très important et que je décrivais tout à heure, nous avons été attirés par des chants. C’étaient des chants funèbres. Nous avons pénétré dans un de ces enclos, minuscule agglomération de quatre à six huttes, subdivision du grand village. Une vieille femme était morte. Il y avait là ses enfants, ses parents, ses amis. Tous exhalaient leur douleur en un chant rythmé, une sorte de psalmodie. On nous présente le fils, un grand homme déjà âgé lui-même ; sa face était ruisselante de larmes ; tandis que nous le saluions, il ne s’arrêta pas de chanter en pleurant ou de pleurer en chantant, avec force sanglots coupant la mélopée. Du reste, tous les visages étaient baignés de pleurs. Nous nous approchâmes de la hutte d’où sortait le plus épais des cris. Nous n’osions entrer, mais comme nous nous penchions vers l’ouverture de la hutte, analogue à l’entrée d’un pigeonnier ou d’une ruche, les chants s’arrêtèrent. Un mouvement se fit dans la hutte et quelques gens en sortirent. C’était pour nous faire place et nous permettre de voir le corps. Il était étendu sur le sol, sans apprêt, de côté, comme celui de quelqu’un qui dort. Dans la demi-obscurité nous pûmes entrevoir une cohue de gens, qui bientôt reprirent leur train funèbre. Certains s’approchaient du corps de la vieille et se penchaient, et se précipitaient sur elle comme tentant de l’éveiller, et caressaient et soulevaient ses membres. Toutes les faces que l’on pouvait distinguer paraissaient luisantes de pleurs. Dans l’enclos, non loin de la case, deux indigènes creusaient un trou très profond et peu large, ce qui nous laissa supposer qu’on ensevelit les morts verticalement, tout debout. Continuant notre tournée dans le village, nous vîmes de-ci de-là, près des cases, de très petits rectangles semés de gravier blanc et entourés d’un treillis bas de branchages, qu’on nous dit être des tombes – et nous nous en doutions. Et pourtant combien de fois n’avons-nous pas entendu répéter que les indigènes de l’Afrique centrale n’ont aucun souci de leurs morts et les ensevelissent n’importe où. À tout le moins, ceux-ci font exception.
Arrivés quelque peu exténués à Abo Bougrima, je n’avais d’autre désir, après le tub et le thé, que de me replonger dans les Wahlverwandtschaften que, malgré l’absence (hélas !) de dictionnaire, je comprends beaucoup mieux que je n’osais espérer. Mais, à la tombée du soir, et tandis que Marc s’en allait avec Outhman tâcher de tuer quelques pintades, j’ai commencé de suivre, derrière la case des passagers, au hasard, un tout petit sentier, à demi caché par les hautes herbes. Il m’a mené presque aussitôt à un quartier de Bougrima que l’on a laissé tomber en ruines. Sur un grand dévalement, des espaces, entre les cases abandonnées et sans plus de toiture, formaient place. Les murs crevés des cases circulaires, assez distantes les unes des autres, laissaient paraître cette sorte de mur intérieur formant niche cintrée et dossier de banc bas, dont j’ai parlé plus haut. Je pus admirer à loisir et pleinement éclairées, encore que le jour fût près de s’éteindre, les belles décorations de ces parois. J’ai constaté l’emploi de trois couleurs – et non simplement du noir comme j’avais cru tout d’abord – mais encore du rouge
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