Voyage au Congo
les champs aussitôt. C’est la première fois qu’il nous arrive de devoir faire acte d’autorité.
Sitôt qu’il a triomphé du brouillard, le soleil est devenu accablant. Nous usons largement des tipoyes, car, au bout d’un petit temps de marche, je sue comme il n’est pas croyable. Vers le soir la lumière devient admirable. On approche d’Abba. Un messager envoyé à notre rencontre à deux kilomètres du village, commence à sonner de la cloche pour nous annoncer. Il nous précède, et les tipoyeurs se mettent à courir. Voici le chef à cheval. Comme il met pied à terre, nous descendons aussi. Un peuple se tient sur une éminence. Ça fait grand, et nous avançons très dignes. Les cases du village sont vastes, belles, semblables à celles des villages précédents, mais portant au sommet de leur toit pointu une grande cruche ronde de terre noire, goulot en l’air ; sans ordre, mais formant, à cause des mouvements de terrain, d’harmonieux groupements. On domine une immense contrée. Le soleil se couche glorieusement et, tout aussitôt, un rideau de brume bleue très légère, faite aussi des fumées du village, s’étend horizontalement et recule la lisière de la forêt voisine. Plus un nuage au ciel. Au zénith, la lune à sa première moitié ; loin d’elle, deux étoiles extraordinairement brillantes. Des feux s’allument dans le village. C’est d’abord un immense silence, puis l’air s’emplit du concert strident des grillons.
Les porteurs retardataires s’amènent un à un ; plusieurs clopinent et paraissent fourbus. À certains nous faisons prendre de la quinine. On a distribué le manioc. Ils se groupent autour d’un grand feu. Le ciel s’emplit d’étoiles.
Je n’ai pas remis mon Dindiki dans sa cage. Il est resté tout le jour (et hier déjà) dans mon tipoye ; agrippé à l’une des tiges de bambou qui soutiennent les nattes du shimbeck, ou blotti contre moi. On n’imagine pas animal plus confiant. Il accepte sans hésiter toute nourriture qu’on, lui offre et mange indifféremment du pain, du manioc, de la crème, de la confiture ou des fruits. Il n’y a qu’une chose qu’il ne supporte pas, c’est qu’on le force à se hâter ou qu’on tente de lui faire quitter son appui. Il entre alors dans de terribles rages, pousse des cris aigus et mord tant qu’il peut. Impossible de lui faire lâcher prise ; on le disloquerait plutôt. Puis, sitôt qu’on le tient dans ses bras, il se calme et vous lèche. Aucun chien, aucun chat n’est plus caressant. Tandis que je me promène dans le village, il reste accroché à ma ceinture, ou au col de ma chemise, à mon oreille, à mon cou.
Lu avec ravissement quelques pages des Affinités. Je donne chaque soir une leçon de lecture à Adoum.
25 novembre.
Passé le jour d’hier à Abba ; repos. Marc visite l’intérieur des cases et m’emmène admirer, dans certaines, une sorte d’épais mur-paravent de terre, légèrement concave et formant dossier surélevé au banc bas qui se dresse face à l’entrée. Bien à l’abri derrière cette paroi, le « créquois » {60} ou la natte sur laquelle on dort. Ce large paravent est sobrement orné d’une très large décoration géométrique, noir luisant et couleur de terre rouge (réservée) d’un fort bel effet. De côté, contre les murs de la case circulaire, entassement de ces énormes vases de terre vernissée, décorés de reliefs, comme tatoués, dans lesquels ils mettent l’eau, le manioc, et qui sont, avec le créquois ou la natte, les seuls objets ou meubles de la case. Un troupeau d’enfants, comme toujours, nous escorte ; la plupart sont mal lavés ; on leur fait honte. Ils rentrent dans leurs cases et reparaissent bientôt après tout lustrés par l’ablution.
Marc organise de grandes courses d’enfants sur la place. Ils sont plus de soixante à concourir sous les yeux des parents amusés et ravis. Chef de village très sympathique, qu’on sent conquis par nos manières et que nous payons largement. Les porteurs ont organisé un tam-tam ; un danseur soliste excite l’enthousiasme des spectateurs (des enfants en particulier, qui s’empressent) – en imitant, dans une danse extraordinairement stylisée, la poule, la cavale en rut, et je ne sais quels animaux.
Plusieurs de nos porteurs viennent se faire soigner les pieds ; nous devons en licencier quatre. Un cinquième, qui se traîne à peine, nous paraît tirer la carotte. En effet il
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