Voyage au Congo
contre lui et qu’il ne peut plus échapper nulle part. Il porte une sorte de cotte de maille étincelante, formée de quantité de pièces de cinquante centimes percées et cousues à même une sorte de pourpoint noir. Très beau, très noble, et même un peu féroce, sur son cheval lancé au galop, il s’élance vers nous, la lance en avant ; puis met pied à terre lorsque paraît Labarbe qui, très digne, autoritaire et magistral, fait retomber sa main levée sur la poitrine de Semba et le livre aux deux gardes chargés de l’emmener en prison. Mais Semba, qui se soumet, s’en va vers la geôle, les précédant de quelques mètres. Il est accusé et reconnu coupable d’un tas de crimes, vente d’esclaves, meurtres et cruautés, détention d’armes non déclarées, de cartouches, etc. Le peuple présent le regarde s’éloigner, sans un murmure de protestation ni même d’étonnement. Tout ce qui a lieu était prévu. Cependant le village, où je retourne le soir (car la chaleur du jour est accablante) s’est à peu près repeuplé. Il est énorme, ce village, et l’on découvre toujours de nouveaux quartiers, de nouveaux groupements de dix, douze, quinze ou vingt cases – dans un repli de terrain, ou que d’abord cachaient les hautes graminées de la brousse. Le soleil se couche, globe écarlate, derrière un rideau de brumes violettes. Et tout aussitôt la pleine lune au haut du ciel commence à luire.
29 novembre.
Départ de Baboua à l’aube. Nouvelle équipe ; ce qui entraîne des hésitations et des discussions pour la répartition des charges. De plus il faut apprêter un hamac pour porter Adoum, incapable de marcher. Je laisse à Marc le soin de régler l’ordonnance du convoi et pars de l’avant. Je vais glorieusement bien, et fais à pied presque toute la route, en tête de colonne. Le temps est splendide. La route n’a pas été nettoyée, ni même les hautes herbes rabattues de côté, ainsi qu’elles étaient tout le long de la route précédente pour faciliter notre passage. Et je ne me doutais point de l’obstacle qu’elle peuvent présenter, car enfin la route est très large (de deux mètres cinquante à trois mètres), mais les herbes sont si hautes qu’elles la recouvrent complètement, repliées, s’opposant à notre marche ; elles sont encore couvertes de rosée, et, d’avoir à me frayer un chemin à travers elles, me voici bientôt tout trempé. C’est bien pis encore lorsqu’on approche d’un marigot ; la route disparaît alors sous l’abondance des plantes.
Après six heures de marche environ, nous atteignons un ruisseau qui traverse la route, non sous une galerie de hauts arbres ainsi que d’ordinaire, mais dans un espace découvert. Ce ruisseau n’est ni particulièrement clair, ni très profond, ni de cours très abondant ; mais il se brise et retombe entre des roches de granit si nettes, si lisses et, là-bas, un peu plus loin, si bien ombragées par un buisson, un arbre bas si prodigieusement embaumé, que je cède à l’invite de l’eau.
Depuis qu’apparaît la roche de temps à autre, le paysage se précise, s’accentue ; les mouvements du terrain semblent se dessiner mieux. Pays fort peu peuplé. Vers dix heures, village de Gambougo, assez misérable – chef complaisant – du reste pas d’arrêt. À une heure passée : Lokoti où nous déjeunons. Village qui veut se déplacer. Déjà l’on voit les squelettes des nouvelles huttes, toits non encore garnis, à quelque cent mètres de l’ancien village sur lequel on a jeté un sort. Impossible de passer la Nana de nuit, malgré notre désir de continuer au clair de lune ; force est de s’arrêter à Dibba ; misérable village, gîte d’étape plus misérable encore dont il faut bien se contenter ; on fait garnir de paille une partie des ouvertures ; et brûler un nid de fourmis, dont la horde était menaçante.
30 novembre.
Trois arbres, dont un énorme, sur cette vague place autour de laquelle se groupe le dispersement des huttes. Par un clair de lune parfait. Immense nuit tiède. Fraîcheur au premier matin ; rosée abondante comme une averse. Nous partons à l’heure où l’éclat de la pleine lune commence à pâlir devant l’approche de l’aube ; l’heure un peu fantastique où rentrent du sabbat les sorcières. La route descend jusqu’au bassin de la Nana ; un ciel couleur tourterelle, où le soleil fait une blessure cramoisie. Comme notre montée avait
Weitere Kostenlose Bücher