Voyage au Congo
brique et de l’ocre. Et tout cela si vernissé, si glacé, que les intempéries n’avaient pu que très peu le dégrader ou le ternir. De côté (et, m’a-t-il paru, toujours sur la droite) de très curieux commencements de piliers qui servent de supports à de grands vases superposés. Par suite de l’enlèvement des toitures, qu’on a dû brûler, ou dont on s’est resservi – ces ruines ont un aspect net, propre – sans aucun débris de paille ou de bois.
La végétation de la brousse avait envahi ces restes de village, et parfois une plante grimpante à larges etbelles feuilles retombait et formait cadre ou feston à ces étranges parois en ruine, faisant valoir la richesse et la sonorité de leurs tons. On eût dit une sorte de Pompeï nègre ; et je me désolais que Marc ne fût point là et que l’heure fût trop tardive pour prendre quelques photographies. Solitude et silence. La nuit tombait. Peu de spectacles m’ont plus ému, depuis que je suis dans ce pays.
26 novembre.
Enfin un jour splendide. Le premier matin clair depuis longtemps – il me semble même que, depuis que je suis en A. E. F., nous n’avons jamais eu que des matins gris et brumeux. Oh ! le ciel n’était pas parfaitement pur, mais la lumière était chaude et plus abondante que jamais. Est-ce seulement à cause d’elle que le pays m’a paru beaucoup plus beau ? Je ne crois pas. Des affleurements de roche donnaient par instants un dessin plus marqué ; d’énormes boulders de granit. Les arbres, pas plus grands que ceux de nos pays, formaient dans la savane une sorte de forêt claire continue. Parfois quelques rôniers. Le ciel était d’un bleu profond et tendre. L’air était sec, léger. Je respirais avec délices et tout mon être s’exaltait à l’idée de cette longue marche, de cette traversée de l’immense pays qui s’étendait lointainement devant nous.
Rien à noter, du reste, que le repas au bord d’une rivière, puis, sous l’ardent soleil, plus tard, la traversée de la Mambéré, où nos tipoyeurs se baignent. Marc me retient d’en faire autant. Je me soumets en maugréant.
À une grande distance de Baboua, les nouveaux chefs viennent à notre rencontre. Ce sont les deux frères du chef reconnu par l’administration française, lequel s’est enfui tout dernièrement au Cameroun, avec les 700 francs que l’administrateur lui avait remis pour payer des nattes, travail des hommes de son village {61} . Ces deux nouveaux chefs sont à cheval et se dressent devant nous, la lance haute pointant vers nos tipoyes, et poussant des cris si farouches que je crois d’abord qu’ils veulent nous empêcher d’avancer. Un des chevaux rue, crève un tam-tam et bouscule le tipoye de Marc. Je mets pied à terre et m’avance en souriant. Explications, grand désordre – puis l’avant-garde que nous formons se remet en marche, précédée de cinq cavaliers, dont les deux chefs non reconnus, très beaux dans leurs vêtements arabes que le vent de leur course gonfle et fait flotter autour d’eux. Nous avons pris sur nos boys et nos porteurs une forte avance et tandis que j’écris ces notes, après nous être rasés, rafraîchis, avoir dégusté mandarines et bananes, nous les attendons encore.
Baboua, 27 novembre.
Adoum s’est amené, clopinant, hier soir, longtemps après les autres, souffrant d’une adénite très apparente. Je crains un phlegmon et ne sais que faire, sinon application de compresses humides. Je lui fais prendre au surplus quinine et rhofeïne ; il s’étend dans l’obscurité et s’endort. Il avait dû s’arrêter deux fois en cours de route, pris de vomissements. La chaleur était très éprouvante.
La maison du « commandant » (administrateur) et la case des passagers où nous sommes descendus, sont à quelques centaines de mètres du village – où nous nous rendons avant le coucher du soleil, accompagnés de l’interprète et des deux nouveaux chefs. Surprise de trouver le village complètement déserté. Le vrai chef en s’enfuyant a entraîné la désertion de tous ceux qui pensaient marquer ainsi leur attachement. Trente hommes (avec famille) l’ont, nous dit-on, accompagné sur la subdivision voisine, en territoire du Cameroun. Deux cents autres, environ, se sont répandus au loin dans la brousse, où ils vivent depuis quelques mois. Nous pénétrons dans la maison du chef, abandonnée. On y accède par un dédale de murs de terre et de cloisons de
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