Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Voyage au Congo

Titel: Voyage au Congo Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Gide
Vom Netzwerk:
roseaux, fait pour faciliter l’embuscade et la défense. Derrière la maison, les cases de femmes, en hémicycle et ouvrant sur une sorte de cour, – tout est vide et désert.
    Nuit splendide. Le soir, tam-tam, d’abord très distant, puis dont les sons se rapprochent. Après une bonne tranche des Affinités et ma leçon de lecture à Adoum, nous nous y rendons. Malgré la désertion du village, ils trouvent le moyen d’être encore une soixantaine, des deux sexes et de tous âges. On n’imagine rien de plus morne et de plus stupide que cette danse, d’un lyrisme que plus rien de spirituel ne soulève. Au son du tambour et de la même phrase musicale, reprise en chœur et inlassablement répétée, tous tournent en formant une vaste ronde, les uns derrière les autres, avec une extrême lenteur et un trémoussement rythmique de tout le corps, comme désossé, penché en avant, les bras ballants, la tête indépendante animée d’un mouvement de va et vient, comme celle des oiseaux de basse-cour. Telle est l’expression de leur ivresse, la manifestation de leur joie. Au clair de lune, cette obscure cérémonie semble la célébration d’on ne sait quel mystère infernal, que je contemple longuement, sur lequel je me penche comme sur un abîme, comme Antoine sur la bêtise du catoblépas : « Sa stupidité m’attire. »
    Ce matin, le ciel le plus clair, le plus radieux que j’aie peut-être vu toute ma vie. L’air est léger ; la lumière profuse ; d’un bord à l’autre du ciel, s’étale un éblouissement. Je crois que Baboua est à près de 1 100 mètres d’altitude. Il a fait presque froid cette nuit. Labarbe est arrivé vers midi, si excédé qu’il n’a pu accepter notre invitation à déjeuner. Il ne mangera qu’après avoir liquidé certaines affaires pressantes et rendu la justice – et peut-être ne mangera pas du tout. Nous décidons de le retrouver vers trois heures et de lui amener Adoum qui souffre de plus en plus. Le malheureux garçon n’a pu dormir, ni même rester couché, a passé presque toute la nuit plié en deux sur un créquois. Labarbe a fait des études de médecine et j’attendais son conseil, son intervention peut-être, avec impatience. Il va devoir, nous dit-il, percer la poche qui s’est formée et introduire des mèches dans la plaie. Adoum s’est cependant traîné jusqu’à la demeure non lointaine du commandant, refusant les porteurs. Il semble extrêmement gêné lorsqu’on lui dit de se dévêtir. Je crois d’abord que c’est de la pudeur. Hélas ! la chute de la culotte découvre quantité de grosses pustules suppurantes au haut des cuisses. Dès le début des réticences, Labarbe avait compris ce qui en était, ce qui fait qu’il ricane et accable Adoum de ses sarcasmes. Ce n’est pas d’une adénite qu’il s’agit, mais d’un bubon vénérien qu’il importe de traiter différemment. Le bubon est du reste prêt à crever et Labarbe se contente d’abord d’une application de compresses d’eau chaude. Il interroge Adoum en blaguant. C’est en passant à Fort-Crampel que le pauvre garçon s’est fait poivrer, il y a précisémentquarante jours, cette fameuse nuit d’orgie qui nous était demeurée mystérieuse. Douloureux spectacle de ce beau corps, aux lignes si pures, si jeune encore, tout abîmé, flétri, déshonoré par ces hideuses plaies. Labarbe cependant affirme que les indigènes connaissent certaines herbes capables de guérir, radicalement, définitivement, la vérole – qui, ajoute-t-il, n’a jamais chez eux la gravité qu’elle peut avoir chez nous. Il ne pense pas avoir vu un seul indigène qui en soit exempt – ni qui en soit mort.
    Baboua, 28 novembre.
     
    Toujours le même azur splendide. Nous ramenons Adoum à Labarbe. Le bubon a crevé cette nuit, d’où grand soulagement du malade qui a pu enfin s’endormir. Il s’étend sur la natte et je lui tiens les mains tandis que Labarbe presse sur la grosseur pour en faire sortir une invraisemblable quantité de pus. L’autre se tord de douleur, et bien plus encore lorsqu’on introduit une mèche chargée d’iode, profondément, dans le cratère du bubon.
    Journée de repos et de lecture. Mon cerveau, je le sens frais et limpide comme le ciel. Vers quatre heures s’amène à cheval, escorté d’un autre cavalier, le fugitif Semba. Il sait que c’est l’incarcération qui l’attend ; mais il sait également que quatre mandats d’arrêt ont été lancés

Weitere Kostenlose Bücher