Voyage au Congo
pour nos hommes, s’empresse à présent et propose plus qu’on ne lui demandait d’abord.
22 novembre.
Nous quittons Bakissa-Bougandui (quel nom de banlieue !) avant six heures ; tous les enfants accourent et nous escortent jusqu’à la sortie du village. Nous nous enfonçons dans un brouillard épais. Le paysage s’agrandit ; les plis de terrain deviennent plus vastes. Nous suivons longtemps « la ligne des crêtes », puis descendons dans un vallonnement profond. Marche prolongée tout le matin, jusqu’à midi presque (avec une heure d’arrêt), sans aucune fatigue ; nous avons dû bien faire ainsi près de 25 kilomètres. La pluie, qui s’est mise à tomber avec abondance, seule nous a forcés à monter en tipoye, avant d’avoir atteint l’étape. Jusqu’à présent nous avions évité les tornades ; elles n’éclataient que pendant la nuit ou pendant nos repas. Mais à présent ce n’est pas un orage ; le ciel est uniformément gris et l’on sent que l’averse va durer longtemps. La pluie redouble tandis que nous atteignons le premier village ; ce qui n’empêche ni les tam-tams, ni les cris, ni les chants. Mais il n’y a plus désormais de chœurs de bacchantes ; en particulier celle que nous appelions « la vieille folle » et que, de village en village, il nous semblait toujours retrouver, est absente.
Après une heure d’attente un peu morne, la pluie cesse ; nous repartons. J’ai pris Dindiki dans mon tipoye, ce qui m’y fait remonter un instant. À une heure et demie de là, Cessana, important village (disposé comme Bakissa-Bougandui, comme tous ceux de la région) où nous nous arrêtons pour déjeuner. Puis, de nouveau, sitôt après, très longue étape ; mais cette fois en tipoye. Nous arrivons à Abo-Boyafé, vers quatre heures, exténués. Et c’était ce village où l’administrateur nous affirmait que nous pourrions coucher le premier jour. Presque toujours les renseignements que nous ont donnés les Européens se sont trouvés faux {59} .
23 novembre.
Par crainte d’exagérer, j’ai sous-estimé la longueur de notre marche, hier. Nous avons fait une journée de dix heures – dont deux heures d’arrêt, et une heure et demie de tipoye. Soit six heures et demie à pied, à raison de près de six kilomètres à l’heure ; car nous marchions très vite. Trop fatigué, c’est à peine si j’ai pu dormir. Il fait à la fois presque frais et étouffant. On nous a parlé de l’étape du lendemain comme très courte ; mais force est de constater que ce renseignement, pour être donné par des indigènes, n’est pas plus exact que les précédents. Abba, où nous devions arriver à midi, nous ne l’atteindrons pas avant quatre heures du soir, bien que partis dès avant six heures, et ayant marché bon train. Il faut bien avouer que cette immense traite a été des plus décevantes. La même savane s’est déroulée devant nous durant des heures et des lieues. Les graminées géantes se sont faites roseaux. Au-dessus d’eux, toujours les mêmes arbres rabougris, déjetés, fatigués je pense par les incendies périodiques, forment une sorte de taillis clairsemé. Le seul intérêt de tout le jour, ç’a été le passage d’un pont de lianes – notre premier – jeté sur une rivière large, profonde, au cours rapide – la « Goman », – en remplacement d’un pont de bois effondré. Rien de plus élégant que cet arachnéen réseau, d’apparence si fragile que l’on s’y aventure en tremblant. Non loin, plongeant dans la rivière, un pandanus gigantesque, ajoute à l’exotisme du tableau. Et, durant tout le trajet qui nous éloigne si redoutablement – je pense éperdument à des choses de France : à M… avec une angoisse continue. Ah ! si du moins je pouvais savoir qu’elle va bien, qu’elle supporte bien mon absence… Et je m’imagine au Tertre près de Martin du Gard, à Carcassonne près d’Alibert…
Mauvais vouloir du chef du village. Arrivés à Niko. Nous nous étions fait précéder d’un coureur, afin de trouver le manioc de nos hommes tout préparé et de pouvoir repartir aussitôt. Pas de manioc. Force a été de perquisitionner dans les cases. Nous avons néanmoins payé cet homme stupide et buté, lui laissant entendre que nous lui eussions donné le double, s’il avait apporté de lui-même et de bonne grâce cette nourriture dont nos porteurs avaient besoin et qu’il lui était facile de récupérer dans
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