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Voyage au Congo

Titel: Voyage au Congo Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Gide
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quinze femmes et deux hommes, attachés au cou par la même corde. Une de ces femmes porte un enfant au sein. Ce sont des « otages » enlevés au village de Dangolo, où les gardes avaient été réquisitionner quarante porteurs, sur l’ordre de l’administration. Tous les hommes, en les voyant venir, avaient fichu le camp dans la brousse {57} … Marc prend une photographie de ce pénible cortège. L’étape est beaucoup plus longue que Labarbe ne nous l’avait dit. Force est de coucher où nous pensions arriver pour le repos de midi et où nous n’arrivons qu’après quatre heures : à Bakissa-Bougandui, – sorte de village, très différent de ceux de la région de Bambio et de tous ceux traversés avant Carnot. Les cases rondes, aux murs de terre très bas, aux toits de chaume pointus, s’éparpillent, se groupent au gracieux hasard, sans plan aucun, sans rue, sans alignement, ni circulairement autour d’aucune place. Nous sommes au plus haut d’un plateau dégarni. Tout autour de nous, du moins à l’est, au nord et à l’ouest, la vue s’étend très loin sur de mornes et immenses vagues de terrain couvertes de forêts d’un vert uniformément sombre, sous un ciel désespérément gris.
    Pour n’être point injuste, il me faut dire qu’il a fait beau, très beau, vers le milieu du jour. Mais tous les matins, tous, sans exception, sont gris, ternes, voilés, d’une tristesse indicible, incomparable. Ce matin, au départ du moins, un assez épais brouillard adoucissait les tons des verdures et limitait heureusement la vue – qui sinon ne s’étend, au lever, que sur du terne, du vert sans joie sous un ciel sans promesses, un paysage que ne semble habiter aucun dieu, aucune dryade, aucun faune ; un paysage implacable, sans mystère et sans poésie.
    En tipoye, ne pouvant lire, je repasse tout ce que je sais des Fleurs du Mal, et apprends quelques pièces nouvelles.
     
    Ce soir, dans le village, non loin de moi, un tam-tam s’organise ; mais je reste assis devant la petite table dressée, à l’insuffisante clarté de la lanterne-tempête, avec les Wahlverwandtschaften, ayant achevé de relire le Master of Ballantrae. La lune, à son premier quartier, est presque au-dessus de ma table. Je sens m’environner de toutes parts l’étrange immensité de la nuit.
    Un peu plus tard je vais pourtant rejoindre la danse. Un maigre feu de broussailles, au milieu d’un grand cercle ; une ronde qu’activent deux tambours et trois calebasses sonores, emplies de graines dures, et montées sur un manche court qui permet de les agiter rythmiquement. Rythmes savants, impairs ; groupes de dix battements (cinq plus cinq) puis, sur le même espace de temps, succède un groupe de quatre battements – qu’accompagne une double cloche ou castagnette de métal {58} . Les joueurs d’instruments sont au milieu. Près d’eux un groupe de quatre danseurs forme vis-à-vis, deux à deux. Les gens de la ronde se suivent par rang de taille, les plus grands d’abord, puis les enfants, jusqu’à des tout petits de quatre ou cinq ans ; les femmes suivent. Chacun se trémousse en agitant les épaules, les bras ballants, et progresse très lentement de gauche à droite, à la fois morne et forcené. Quand je pose ma main sur l’épaule d’un des enfants, il se détache du cercle et vient se presser contre moi. Des hommes, qui contemplent la danse, voyant cela, en appellent un autre qui vient à mon autre côté. À une suspension de la danse, les deux enfants m’entraînent. Ils resteront assis à terre, près de ma chaise, durant notre repas. Ils voudraient devenir nos boys. D’autres se sont joints à eux. Dans la nuit qui les absorbe, on ne distingue exactement que leurs yeux qui restent fixés sur nous et, quand ils sourient, leurs dents blanches. Si je laisse pendre ma main, ils la saisissent, la pressent contre leur poitrine ou leur visage et la couvrent de baisers. À côté de moi, sur ma chaise, le petit paresseux sommeille ; je sens sa chaleur douce contre mes reins. Je l’appelle à présent Dindiki, du nom que lui donnent les indigènes.
    À noter le mauvais vouloir, presque l’hostilité de ce village (et du précédent) lorsque nous arrivons ; hostilité qui bientôt cède et fond devant nos avances, et fait place à un excès de sympathie aux effusions et démonstrations chaleureuses. Le chef même, qui d’abord se dérobait et déclarait ne pouvoir trouver des œufs pour nous, du manioc

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