Voyage de J. Cartier au Canada
dedans les fustailles, Et par dedans nosdictes navires tant de bas que de hault, estoit la glace contre les bortz a quatre doigtz d'espesseur. Et estoit tout le dict fleuve, par autant que l'eaue doulce en contenoit jusques au dessus dudict Hochelaga gellé : durant lequel temps nous deceda jusques au nombre de vingt cinq personnes des principaulx et bons compaignons que nous eussions : Et pour l'heure y en avoit plus de cinquante, en qui on esperoit plus de vie et le parsus tous malades que nul n'en estoit exempté excepté trois ou quatre : Mais dieu par sa saincte grace nous regarda en pitié : et nous envoya la congnoissance et remede de nostre guarison et santé de la sorte et maniere qu'il sera devisé en ce chapitre.
Comment par la grace de dieu nous eusmes congnoissance de la sorte d'ung arbre, par lequel nous avons esté guariz apres avoir usé dudict arbre, et la facon d'en user.
Ung jour nostre cappitaine voyant la maladie si esmeue et ses gens si fort esprins d'icelle, estant sorty dehors du fort, Et soy promenant sur la glace, apperceust venir une bende de gens de Stadacone, en laquelle estoit Dom agaya, lequel le cappitaine avoit veu dix ou douze jours auparavant fort malade de ladicte maladie que avoient ses gens.
Car il avoit l'une des jambes par le genoul aussy grosse qu'ung enfant de deux ans. Et tout les nerfz d'icelle retirez : les dentz perdues et gastees, et les gensives pourries et infectées.
Le cappitaine voyant ledict Dom agaya sain et deliberé feust joyeulx esperant par luy scavoir comme il estoit guary : Affin de donner ordre et secours à ses gens. Lors qu'ilz furent arrivez pres le fort, le cappitaine luy demanda comme il s'estoit guary de sa maladie : lequel Dom agaya respondit qu'il avoit le jus et le marcq des fueilles d'ung arbre dont il s'estoit guary, et que c'estoit le singulier remede pour maladie. Ledict cappitaine luy demanda s'il y en avoit point la entour, et qu'il luy en monstrast pour guarir son serviteur qui avoit prins ladicte maladie audict Canada, durant qu'il demouroit avec Donnacona, ne luy voulant declarer le nombre des compaignons qui estoient malades. Lors ledict Dom Agaya envoya deux femmes pour en querir : lesquelles en apporterent neuf ou dix rameaulx, et nous monstrerent comme il failloit peller l'escorce et les fueilles dudict boys, et mettre tout boullir en eau, puis en boire de deux jours l'un, et mettre le marcq sur les jambes enflees et malades, et que de toute maladie ledict arbre guerissoit, ilz appellent ledict arbre en leur langaige Ameda.
Tost apres le cappitaine feist faire du breuvage pour faire boire es malades, desquelz n'y avoit nul d'eulx qui voulsist essayer ledict bruvage, synon ung ou deux qui se misrent en adventure d'icelluy assayer. Tout incontinent qu'ilz en eurent beu, ilz eurent l'advantage qui se trouva estre ung vray et evident myracle. Car de toutes maladies dequoy ilz estoient entachez, apres en avoir beu deux ou trois foys, recouvrerent santé et guarison : Tellement que tel y avoit desdictz compaignons qui avoit la grosse verolle cinq ou six ans au parvant ladicte maladie : a esté par icelle medecine curé nectement.
Apres ce avoir veu et congneu, y a eu telle presse ladicte medecine, que on si vouloit tuer, à qui premier en auroit. De sorte que ung arbre aussi gros et aussi grand que chesne qui soit en France, a esté employé en six jours : lequel a faict telle operation, que si tous les medecins de Louvain et de Montpellyer y eussent esté avec toutes les drogues de Alexandrie, ilz n'en eussent pas tant faict en ung an, que le dict arbre a faict en six jours : Car il nous a tellement proffite, que tous ceulx qui ont voullu user, on recouvert santé et guarison la grace à dieu.
Comment le seigneur Donacona accompaigné de Taignoagny et plusieurs aultres faignans aller a la chasse aux Cerf et aux Dains, furent deux moys sans retourner. Et à leur retour amenerent grand nombre de gens que n'avions accoustumé de veoir.
Durant le temps que la maladie et mortalité regnoit en noz navires, se partirent Donnacona, Taignoagny, et plusieurs autres, faignans aller prendre des Cerfz et Dains : Lesquelz ilz nomment en leur langaige Aiounesta et Asquenoudo, parce que les neiges estoient et que les glaces estoient ja rompues dedans le cours du fleuve, tellement qu'ilz pouvoient naviguer par icelluy. Et nous fut par Dom Agaya et aultres dict, qu'ilz ne seroient que environ quinze jours, ce que croyons, mais furent deux moys
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