Voyage en Germanie
dans des fosses ignobles…
Nous n’en trouvâmes aucune, j’ai plaisir à le préciser.
— … Certains regagnèrent finalement Rome. Un petit nombre de pauvres diables revint même sur les lieux avec Germanicus…
Toutes les guerres enfantent des masochistes.
— Cela dit, convenir d’une reddition n’a aucune signification aux yeux des tribus. Ce fut un combat à la celtique : on tue, on ramène des têtes. Les légionnaires qui tentèrent de filer durent être pourchassés dans les bois. Exactement comme en Bretagne à l’époque du soulèvement des tribus de la reine Boudicca. (J’entendis ma voix se faire rauque à l’évocation de cette blessure ancienne.) La chasse à l’homme fait partie de ce jeu effroyable. Des guerriers ivres de sang cavalant joyeusement derrière des victimes qui se savent condamnées…
— Il se peut même qu’Arminius ait intentionnellement prolongé les réjouissances, expliqua Helvetius au reste du groupe. En résultat, il y eut sans doute des corps éparpillés d’ici jusqu’à…
— La rivière la plus proche, dans un sens comme dans l’autre, centurion.
— Explique, Falco.
— Les guerriers arrêtent au bord de l’eau tous les fugitifs restants. Têtes et cuirasses sont offertes aux dieux au fil du courant.
Nous poursuivîmes notre chevauchée en silence. Il nous fallut deux jours, bien qu’il fasse beau et que la chance nous sourie, pour atteindre les collines de la forêt de Teutobourg.
Je sais qu’à l’heure du repos, chaque soir, certains de nos jeunes soldats disparaissaient longuement dans les fourrés. Je sais qu’ils découvrirent divers objets. C’étaient encore des gamins. Ils vouaient de l’affection à leurs collègues du passé, mais la chasse aux reliques exerçait sur eux un attrait irrésistible.
L’humeur générale de notre groupe se durcit. Pendant ce temps-là, Lentullus restait avec Justinus et moi autour du feu, sans prendre part à la chasse clandestine aux souvenirs. Il se tenait à l’écart, comme si, d’une certaine manière, il pensait que tout était de sa faute. Un soir, j’éclatai d’un rire bref :
— Nous voilà plantés au milieu de nulle part avec des charretées de soucis, à jouer les stratèges de taverne qui refont Marathon et Salamis en disposant des pommes sur une table.
— Ne parle pas de tavernes, Falco, murmura Camillus Justinus à moitié endormi au fond de son lit de camp. On est quelques-uns ici à qui un gobelet ne ferait pas de mal !
Pour avoir séjourné chez lui et goûté son affreux vin de table, je comprenais à quel point Son Excellence le tribun devait souffrir.
Le lendemain, nous attaquâmes les hauteurs de la forêt de Teutobourg. Curieusement, nous traversâmes le long massif sans encombres. Cela semblait trop beau pour être vrai. C’était le cas, en effet.
En redescendant, nous trouvâmes comme il se devait le lit principal de la rivière Lupia. Au coucher de soleil, nous installâmes prudemment notre campement, sans faire de feux. Je remarquai que Probus et un autre soldat s’éloignaient ensemble et s’absentaient trop longuement. Ils écumaient sans doute à nouveau le terrain à la recherche d’antiques fourreaux de glaives et clous de boucliers. Nous ne fîmes tout d’abord aucun commentaire, comme d’habitude, mais bientôt la distribution de rations fut terminée, et ils n’avaient toujours pas reparu. C’était là un incident sans précédent. Helvetius resta au camp pendant que Justinus et moi partions à la recherche de nos agneaux égarés. Nous emmenâmes une recrue chacun. Justinus choisit un gars nommé Orosius. Avec ma chance habituelle, j’écopai de Lentullus. Et pour le cas où j’aurais manqué de compagnie, Tigris nous accompagnait en gambadant joyeusement.
Comme on pouvait s’y attendre, ce fut Tigris, Lentullus et moi qui déboulâmes au cœur du bosquet sacré. Quand nous y entrâmes tout d’abord, on aurait dit n’importe quelle autre clairière. Elle devait dater de plusieurs générations. Nous avancions hardiment parmi les arbres aux branches tordues, persuadés que ce soudain dégagement était un phénomène naturel. Un vent furieux se levait, sifflant sans trêve entre les feuilles de novembre, sombres et sèches. Tigris, qui bondissait en amont, rebroussa chemin ventre à terre, rapportant un bâton à lancer. Je me baissai et, après l’habituelle petite lutte, je le contraignis à lâcher prise.
— Ça, c’est un drôle
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