Voyage en Germanie
me plut pas du tout.
À la sortie du bosquet se dressait une construction de forme rectangulaire, semblable à un autre et beaucoup plus grand autel. La chose comportait un énorme épieu central et se composait d’une multitude de pièces longilignes, aux extrémités irrégulières ou arrondies, et grisâtres. Plusieurs générations avaient dû concourir à son élaboration, si bien qu’à présent l’ensemble mesurait deux bons pas de long comme de large, et s’élevait à mi-hauteur d’homme. Les pièces étaient alignées avec grand soin, une couche dans un sens, une couche dans l’autre, telles les branchettes d’un feu bien agencé. Seulement, il ne s’agissait pas de branchettes.
C’était un gigantesque tas d’os ; d’os humains de bras et de jambes. Des centaines de victimes avaient dû être démembrées pour constituer cet ossuaire : tout d’abord pendues dans les arbres en guise d’offrandes, puis mises en pièces avec une tranquille barbarie, comme les morceaux de choix de quelque carcasse charnue. D’après ce que je savais des rites celtiques, la plupart des victimes en question avaient jadis été de jeunes gens tels que nous.
Avant que nous ayons pu l’arrêter, le chien du tribun partit flairer ce monstrueux butin d’os. Nous détournâmes les yeux, par respect pour les morts, pendant que Tigris levait la patte aux quatre coins de l’ossuaire en signe de reconnaissance canine. Nous quittâmes le bosquet en toute hâte.
48
Nous partîmes ventre à terre en direction du camp. Ce fut alors que le cauchemar suivant commença.
Une fois de plus, je me retrouvais perdu dans un bois à la tombée du jour en compagnie de Lentullus. Cette fois, ce ne fut pas le silence qui nous mit les nerfs à vif. Nous nous retrouvâmes tout à coup cernés de bruits : quelque chose, ou quelqu’un, se frayait un chemin à grand fracas parmi les arbres. Nous restâmes pétrifiés sur place. Puis nous entendîmes un cri. Des voix étrangères emplirent la nuit. D’emblée, cela ressembla à une poursuite, et d’emblée, nous comprîmes que nous étions la proie. Je forçai Lentullus à changer de direction, espérant par là donner une chance au reste de notre groupe.
— Je ne te quitte pas, Falco ! promit Lentullus.
— C’est rassurant…
Nous avions perdu notre chemin et courions cahin-caha sur un sol traître jonché de branches et d’amas de mousse trompeurs prêts à nous expédier face contre terre, bras et jambes tordus en tous sens. Tout en filant à travers les fourrés, je tâchais de réfléchir. J’étais quasi certain que personne ne nous avait vus quitter le bosquet. Peut-être ne nous avait-on pas vus du tout. Quelqu’un là-bas derrière cherchait quelque chose, mais peut-être n’étaient-ce que des chasseurs qui s’efforçaient de remplir leur marmite.
Nous fîmes halte et nous accroupîmes dans les buissons, inondés de sueur, le nez coulant sans interruption.
Raté pour la marmite. Les chasseurs, qui qu’ils soient, faisaient beaucoup de bruit pour des individus s’efforçant d’appâter des animaux afin de les prendre dans leurs rets. Ils taillaient les buissons à tour de bras pour en faire sortir des fugitifs. Des rires rauques nous alarmèrent. Puis nous entendîmes des chiens. Une sorte de grande trompe sonna. Désormais, le groupe vociférant se dirigeait droit sur nous. Ils étaient si proches que nous quittâmes notre cachette. De toute façon, ils nous auraient trouvés. Quelqu’un nous aperçut. Les cris redoublèrent.
Nous prîmes nos jambes à nos cous, incapables ne serait-ce que de jeter un coup d’œil en arrière pour voir qui étaient nos poursuivants. Je perdis Lentullus, qui s’était arrêté pour appeler le chien du tribun. Je continuai. Peut-être le manqueraient-ils ; peut-être me manqueraient-ils ; peut-être même parviendrions-nous à leur échapper ?
Aucune chance. J’accroissais la distance entre eux et moi, mais un vacarme éclata qui ne pouvait signifier qu’une seule chose : ils avaient attrapé Lentullus. Je n’avais pas le choix. Avec un gémissement, je rebroussai chemin.
Ce devait être une bande de Bructères. Debout autour d’une profonde fosse, ils riaient. Lentullus et Tigris étaient tombés dedans l’un et l’autre. Il s’agissait peut-être d’un piège destiné à un animal, ou même d’une de ces fosses conçues comme des garde-manger que leur héros Arminius avait creusées pour y tenir les prisonniers
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