Voyage en Germanie
accidentel entre les arbres denses.
— … Je l’ai suivi pour jeter un coup d’œil…
Il était curieux de naissance. Et niais. Lentullus ramasserait un scorpion pour voir s’il est vrai que ces bêtes-là piquent.
Je n’avais toujours aucune idée de ce qu’il avait vu, si ce n’est que l’effet produit était assez glaçant.
— Eh bien, allons-y !
Nous prîmes le supposé chemin. Peut-être des cerfs fréquentaient-ils l’endroit. L’atmosphère y était encore plus hostile, et le jour tombait vite. La rosée faisait gonfler le cuir de nos chaussures, et nous traînions gauchement les pieds. Les feuilles craquaient plus fort qu’à mon goût sous la semelle. On devait nous entendre à trois kilomètres.
Puis il n’y eut plus d’arbres. J’étais fatigué, inquiet. J’avais froid. Mes yeux refusèrent tout d’abord d’accommoder, luttant contre l’incrédulité. Puis je compris alors pourquoi sa découverte avait épouvanté le jeune soldat.
La clairière silencieuse dans laquelle nous pénétrions était tapissée de brume. C’était une grande clairière, ou c’en fut une autrefois. Devant nous, s’étendait une étrange mer de ronces. Ronces et fourrés marquaient une légère déclivité près de nous, puis prenaient de la hauteur quelques mètres plus loin en grimpant le long d’un talus boisé régulier. Ce creux semblable à un fossé s’étirait d’un côté et de l’autre dans les deux sens. Les tiges des buissons plongeaient profond, comme si, en dessous de leur enchevêtrement, le sol avait été creusé. Or c’était le cas. Nous le comprîmes, sans même nous aventurer plus loin – ce qui aurait été mortellement dangereux. Quasiment à nos pieds, le sol devait marquer une chute abrupte, sombrer plus bas que hauteur d’homme. Devant nous, indécelables au milieu des ronces, des épieux diaboliquement affûtés étaient sans nul doute dardés. Au fond du fossé, devait être creusée une mince tranchée de drainage pas plus large qu’une pelle, puis la paroi la plus distante devait s’élever en pente à la rencontre d’une butte, derrière laquelle on retrouvait le niveau du sol. Là, le talus était envahi de jeunes pousses. De relativement jeunes pousses, et non de ces arbres séculaires dans lesquels nous nous étions débattus toute la journée, et qui devaient déjà se dresser fièrement à l’époque lointaine où la légende affirme qu’Hercule vint en Germanie. C’était une autre légende que nous avions découverte.
Au-delà du bois se dressait un rempart. Nous n’en distinguions que le faîte au-dessus de la végétation. Mais il devait y avoir un chemin de ronde, protégé par une palissade de rondins et ponctué de la masse carrée des tours familières. Plus loin, dans la pénombre, nous discernâmes la forme gigantesque d’une classique porte de forteresse.
Le silence régnait. Aucune sentinelle n’effectuait sa ronde, aucune lumière ne brillait. Pourtant, là, à des centaines de kilomètres des provinces romaines, se dressait un camp romain.
45
— Y a quelqu’un là-dedans ?
— Grands dieux, j’espère que non !
Je n’étais pas d’humeur à échanger des histoires de baroudeurs avec des morts ou leurs fantômes. J’esquissai un geste.
— On y va ?
— Non, on s’en retourne.
Je lui fis faire demi-tour.
— On pourrait camper là-ded…
— On est très bien là où le camp est installé.
Rares furent ceux d’entre nous qui dormirent beaucoup cette nuit-là. Allongés les yeux ouverts, nous tendions l’oreille pour percevoir les trompettes d’Hadès, puis nous piquâmes du nez juste avant l’aube. Je m’éveillai de bonne heure et me levai pendant qu’il faisait encore noir, tout courbatu et le cerveau embrumé. Le reste du groupe émergea aussi. Un peu d’eau froide et quelques biscuits nous ragaillardirent, puis nous pliâmes bagage, amenâmes les chevaux et nous mîmes en route en rangs serrés pour une visite matinale au camp de nos collègues. Au petit jour, l’endroit semblait encore plus désolé.
Ça n’avait rien de Vetera. C’était un fort militaire de campagne, et un grand. Conçu comme une construction provisoire, il se dressait cependant avec un air permanent du fond de son isolement. On n’y distinguait aucune trace de siège guerrier. Les ravages du temps y étaient féroces, toutefois. Outre l’épais tapis boisé qui recouvrait les abords extérieurs, certaines des tours s’étaient
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