Voyage en Germanie
chargé d’une mission pour l’empereur.
Je perçus à nouveau un mouvement inquiétant derrière moi.
D’un ton plein de colère, le tribun lâcha brusquement :
— Qui est ce va-nu-pieds de fouineur ?
— Un empoisonneur nommé Didius Falco, répondit le préfet. Ex-légionnaire de la Deuxième Augusta. On ne pouvait pas manquer de faire circuler la nouvelle dans les rangs des soldats de garde.
Je réprimai un gémissement. Il avait fait en sorte qu’aucun des hommes de la légion ne m’adresse la parole… et me réservait probablement un sort bien pire que ça. Ce soir, à partir du couvre-feu, j’allais devenir une proie rêvée pour tous les musclés imbibés de vin que l’envie prendrait de crâner devant les copains.
— À présent, il travaille pour Vespasien… comme de bien entendu.
Cette allusion au fait que l’empereur commanda autrefois la Deuxième contenait tout le sarcasme que Juvenalis parvint à y mettre sans trahir son serment d’allégeance militaire.
— Mais bon, pas de problème, affirma-t-il à l’assemblée. Cet idiot n’est pas ici pour nous casser les pieds. Il va aller taquiner les indigènes en recherchant leur chef rebelle. Il se figure qu ’ il va dompter Civilis !
La remarque ne souleva pas un rire.
Je soupirai doucement.
— En fait, il se trouve que je suis chargé de retrouver un légat disparu, mais il s’agit de Munius Lupercus, donc la piste est éventée… J’ai saisi le message, les gars : les membres de la Deuxième sont persona non grata parmi vos nobles compagnons. Je m’en vais.
Un silence accueillit ma remarque, mais un remous de lumière et un courant d’air plus frais dans mon dos me révélèrent que le mur de cuirasses s’était entrouvert. Je me levai. Ils restèrent étroitement groupés autour de moi, si bien que je trébuchai dans le tabouret en me retournant. Personne ne me sauta dessus, ce qui me surprit. C’était là le but escompté par mes interlocuteurs. Tous savouraient ma nervosité, mais ils me laissèrent partir tranquille. Quelqu’un claqua la porte d’un coup de pied. Je m’attendais à entendre fuser des rires, mais rien ne s’élevant, l’effet fut encore pire. Je regagnai l’esplanade à défilés, où le vif soleil d’automne, bas sur l’horizon, m’éblouit cruellement.
Nul ne m’avait touché. Mais je me sentais aussi moulu qu’après avoir été fouetté à coups de corde à nœuds par toute une légion lors d’une cérémonie de châtiment.
24
Ces joyeux événements avaient englouti assez de ma matinée pour que je regagne sans hâte la maison du tribun où nous avions décidé de nous retrouver pour le déjeuner.
— Je t’emmène manger dehors : je te dois un pichet. On m’a recommandé la Medusa, une taverne…
Justinus eut l’air affolé.
— Je ne connais personne qui aille boire là-bas !
Je reconnus que c’était probablement dû au fait que ses amis étaient bien trop cultivés, puis lui expliquai pourquoi je souhaitais y aller. Prendre part à mes investigations amusa Justinus, si bien qu’il ravala ses scrupules. Chemin faisant, il m’interrogea sur l’évolution de l’enquête.
— Je sors tout juste de ma deuxième entrevue avec la Quatorzième. Les hommes prétendent que leur chef est en mission officielle, ce qu’on aurait du mal à réfuter. Mais il se trame quelque chose de louche. Ils ont des réactions exagérées à un point qui frise le grotesque.
Je l’informai de l’attitude intimidante qu’avait adoptée la Quatorzième à mon égard. Justinus était trop jeune pour se souvenir dans le détail des péripéties de la révolte de Bretagne, aussi dus-je lui raconter l’intégralité du lamentable épisode lors duquel la Deuxième Augusta s’était vu dépouiller de tout prestige. Sa mine s’allongea. Non seulement il hébergeait un individu devenu indésirable, mais à l’instar de la plupart des gens, il était sans doute fort peu impressionné par la contribution de ma légion à l’histoire.
La taverne Medusa se révéla moins agréable que je l’espérais, quoique moins miteuse que je le craignais. L’endroit avait l’air d’un établissement nocturne fonctionnant au ralenti en journée. En fait, aucun lieu public ne restait ouvert la nuit à Moguntiacum : l’atmosphère endormie de la Medusa à l’heure du déjeuner était simplement due au laisser-aller de la gestion. Les tables branlantes étaient appuyées contre les murs lépreux comme
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