11 Septembre... 1973
arrivé à notre mère.
Beatriz a appelé l'Ambassade cubaine pour parler à son mari. Finalement, à
travers Olga Corsen, une amie de la famille, nous avons appris que notre mère
avait échappé au bombardement et qu'elle résidait, saine et sauve, chez Felipe
Herrera. Beatriz a pu joindre le médecin particulier du président, Danilo
Bartulin, qui avait pu sortir de la Moneda. C'est lui qui nous a annoncé que
Salvador Allende était mort, ainsi qu'Augusto Olivares... J'étais tout à côté
du téléphone. C'était comme si nous parlions ensemble... Je me souviens très
bien quand il a dit : "Tout est fini [41] !""
Après avoir été découvert, le corps d'Allende est
emmené à l'Hôpital militaire. Pinochet a donné des instructions strictes : il
faut certifier qu'il s'agit bien d'un suicide et ne pas laisser de doute quant
à la cause du décès. Les militaires ne doivent pas être soupçonnés d'avoir
assassiné Allende. À 20 heures, l'autopsie commence. Les médecins légistes
indiquent dans leurs conclusions : "La cause du décès est une blessure par
balle cervico-bucco-crânéo-encéphalique récente, avec sortie du projectile
(...). Le tir correspond à ce que l'on appelle un tir "à bout
portant" en médecine légale (...). Le tir a pu être effectué par la
personne elle-même".
Le 1er octobre 1973, un attaché de l'ambassade des
États-Unis à Santiago, Patrick Ryan, rend compte des événements : "Allende
a été trouvé mort, seul, dans son bureau. Il s'était tué en plaçant un canon
sous son menton et en appuyant sur la gâchette. Laid, mais efficace. L'arme
gisait près de son cadavre. Une plaque de métal sertie au canon portait ces
mots : "À mon bon ami Salvador Allende, de Fidel Castro"". Dans
son rapport, le fonctionnaire américain n'hésite pas à écrire : "Le coup
d'État au Chili a été proche de la perfection".
Chapitre 3
: Les années d'obscurité.
Le 11 septembre 1973 naît l'une des dictatures les
plus cruelles d'Amérique latine. La débâcle démocratique qui a commencé avec
les coups d'État militaires survenus au Paraguay en 1954, au Brésil et en
Bolivie en 1964, au Pérou en 1968 et en Équateur en 1972, continue de
s'étendre, en attendant l'Argentine et l'Uruguay, en 1976. La Colombie et le
Venezuela sont pratiquement les seuls pays de la région à conserver des
gouvernements démocratiques pendant les années 1970.
Au Chili, Pinochet impose un style impérial. Un
tel despotisme n'a pas d'antécédent dans l'histoire du pays. Jamais un
président chilien n'a disposé d'autant de pouvoir. Le dictateur parvient à se
maintenir à la tête de l'État pendant seize ans et six mois, un record de
longévité, supérieur à celui qu'avait établi le gouverneur Gabriel Cano y
Aponte à l'époque du colonialisme [42] .
Pour gérer les affaires courantes, Pinochet
s'appuie sur une junte militaire qui regroupe les chefs des principaux corps
armés. À partir de 1973, toute législation est suspendue. La junte gouverne par
décrets. Elle proclame son intention de "restaurer la chilénité, la
justice et l'ordre". Le cinquième décret prévoit ainsi que : "Les
forces armées assument le devoir moral que la Patrie leur impose (...), exerçant
le pouvoir tant que les circonstances l'exigent, en s'appuyant sur l'évident
assentiment majoritaire de la Nation, ce qui justifie leur action devant Dieu
et devant l'Histoire et, par conséquent, les résolutions, les normes et les
instructions en vigueur (...), lesquelles devront être observées et appliquées
dans tout le pays".
A peine le coup d'État effectué, un plan
systématique d'élimination de l'opposition est mis en oeuvre. Des milliers de
personnes sont arrêtées. Les prisonniers sont conduits au Stade national de
Santiago où ils sont détenus dans des conditions inhumaines. Tous sont
torturés. Certains en réchappent. Certains sont fusillés. De tous les autres,
on ne sait rien. Au fil des jours, la liste des disparus s'allonge. Les
familles font des queues interminables dans les tribunaux pour tenter de
retrouver leurs proches. De 1973 à 1979, plus de cinq mille plaintes sont
déposées.
En décembre 2002, quatre anciens soldats chiliens
ont avoué dans les colonnes du quotidien La Nacion avoir pris part à
l'exécution de vingt collaborateurs d'Allende, fusillés deux jours après le
coup d'État. Protégés par l'anonymat, ils ont expliqué que les corps des
victimes avaient été enterrés dans une
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