11 Septembre... 1973
n'y a pas d'ambassade américaine [47] ...".
Il y a une ambassade américaine au Chili en 1973 et les rapports que ses
services envoient à Washington attestent de l'importance majeure de son travail
et de la qualité des relations qu'elle entretient avec la junte militaire.
Le 16 novembre, Jack Kubbish, l'un des assistants
du secrétaire d'État américain Henry Kissinger, envoie un mémorandum à son chef
depuis Santiago. Il y détaille les exécutions sommaires commises au Chili au
cours des dix-neuf jours qui ont suivi le coup d'État : "Un rapport
interne, confidentiel, préparé par la junte, donne comme nombre d'exécutions
dans la période du 11 au 30 septembre : 320. Ce chiffre est sans doute
l'indication la plus exacte de l'étendue de cette pratique. Nous croyons que
les militaires et les policiers qui opèrent dans la rue ont reçu l'ordre de cesser
les exécutions sommaires. Cependant, il n'y a encore aucun indice d'une volonté
de mettre fin aux exécutions commises à l'issue des procès militaires (...). Le
code de la justice militaire autorise à envoyer les prisonniers au peloton
d'exécution pour toute une gamme de délits incluant la trahison, la résistance
armée, le port d'arme prohibé et le vol. Les sentences des tribunaux militaires
prononcées pendant l'état de siège ne sont pas révisables". Plus loin, il
est écrit : "La façon dont les chefs militaires pourront agir dans ce
domaine dépendra désormais, dans une certaine mesure, de l'opinion étrangère
et, plus particulièrement, de nous".
La Constitution et les libertés individuelles sont
suspendues. Au lendemain du 11 septembre, l'état de siège est décrété dans tout
le pays et l'état d'urgence est appliqué dans plusieurs villes. En décembre, un
décret ordonne aux syndicats de "s'abstenir de toute activité à caractère
politique". Il leur est seulement permis d'organiser "des réunions
d'assemblée à caractère informatif ou relatives à la gestion interne de
l'organisation". Des principes similaires sont appliqués aux universités :
des recteurs acquis au régime sont nommés à la tête de chacune d'entre elles.
Au sein de l'appareil judiciaire, 10% des magistrats
sont mis à pied en raison de leurs liens supposés avec l'Unité populaire,
tandis qu'un très grand nombre d'entre eux doivent subir des mutations
abusives. Comme l'explique la journaliste Alejandra Matus, qui a longuement
enquêté sur ce sujet et dont les travaux ont été censurés pendant de nombreuses
années au Chili : "Les mutations, effectuées en masse à la fin de l'année
1973, ont été une cause de souffrance quotidienne pour tous ceux qui étaient
déplacés et qui devaient abandonner maison, famille et amis pour accomplir
leurs fonctions dans d'autres juridictions [48] ".
Entre 1973 et 1975, 28 juges, 28 greffiers, 3 rapporteurs et deux secrétaires
de cour d'appel quittent le monde judiciaire, tandis que 180 employés de
tribunaux et de cours d'appel, 4 avocats généraux et 1 notaire sont obligés
d'abandonner leur poste.
Le parlement est dissous. Les partis politiques
sont interdits. Leurs biens sont saisis par le fisc. On brûle les listes
électorales. Cette mesure s'appuie sur un rapport de l'Université catholique
qui, dès avant le coup d'État, dénonçait "l'existence de fraudes
électorales graves et étendues". À l'époque, cette accusation avait été
lancée par le doyen de la Faculté de droit, un membre de l'opposition, contre
l'avis du recteur de l'université, Fernando Castillo Velasco.
Le pouvoir ne se contente pas de ce
"nettoyage" idéologique de la société chilienne. Il s'attaque aussi à
ses propres rangs. Pinochet n'hésite pas à se défaire des anciens camarades
putschistes qui n'adhèrent pas complètement à ses vues. Les tensions au sein
des forces armées sont à l'origine des purges "pinochetistes". Le 24
juillet 1978, le général Leigh est expulsé de la Junte. Selon ses propres
déclarations, il a été destitué en raison de "son effort permanent pour
mener une cabale contre les principes qui inspirèrent le Mouvement du 11
septembre, lequel fut motivé par la nécessité de restaurer la chilenité, la
justice et l'ordre".
Le 14 juin 1974, par le décret numéro 521,
Pinochet crée la Direction de l'intelligence nationale, la DINA, qui réunit les
services de renseignement de l'Armée de terre, de la Marine et de l'Aviation.
Il en confie la direction au général Manuel Contreras. Cette création
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