11 Septembre... 1973
fosse commune, avant d'être déterrés
quelques années plus tard, pour être jetés à la mer. D'après eux, le
commanditaire des exécutions était le général Joaquin Ramirez Pineda. De retour
à la caserne, l'un des soldats se souvient d'avoir entendu Ramirez dire :
"C'est ce qu'il fallait faire avec ces gens, tous de dangereux marxistes.
Il ne vous arrivera rien parce qu'ils ont été condamnés au terme d'un procès
rapide par un tribunal militaire". Au cours de l'interview, ce soldat, âgé
de cinquante ans, s'est effondré en larmes à plusieurs reprises. Il a demandé
que son nom ne soit pas révélé parce que ni son épouse ni son fils ne savent
qu'il a participé à ce massacre. Un mois auparavant, le général Ramirez avait
été arrêté en Argentine, à la demande d'un tribunal français, pour sa
responsabilité dans l'assassinat de l'un des disparus de la Moneda, le médecin
français George Klein, conseiller de Salvador Allende. Il n'a toujours pas été
extradé. Considéré par la justice française comme le "donneur
d'ordres" des assassinats d'opposants commis au Chili à cette période,
Pinochet est également impliqué dans cette affaire et pourrait être jugé par
contumace à Paris.
Dans son rapport, rendu public en 1991, la
Commission nationale pour la vérité et la réconciliation estime le nombre de
victimes de la dictature à 3.197 entre 1973 et 1990, dont 37,7% d'ouvriers et
de paysans [43] .
Parmi ces victimes, 1.823 ont été exécutées le jour même du putsch. "La
majorité des victimes avait moins de trente ans et, très souvent, moins de
vingt ans, explique la Commission. Certaines situations extrêmes impliquèrent
des enfants de quatorze ou quinze ans qui moururent des suites d'actes violant
leurs droits fondamentaux". L'enquête a permis de mettre au jour de
nombreuses fosses communes. Mais beaucoup de corps n'ont pas été retrouvés.
Faire disparaître les victimes était une pratique courante chez les militaires
formés à l'École des Amériques, dont le siège se trouvait à Panama. De 1963 à
1970, cet établissement a formé plus de 61.000 militaires chiliens et leur a
enseigné les techniques les plus sanglantes d'interrogatoire par la torture [44] .
En 1973, le Chili se couvre de camps de
concentration où l'on conduit des milliers d'individus pour les interroger sous
la torture ou les assassiner. D'après l'historien chilien Armando de Ramon :
"Les interrogatoires dans les camps de concentration ou dans les centres
de détention comme la célèbre Villa Grimaldi peuvent se comprendre comme la
recherche des fils d'une gigantesque trame, d'une conspiration qui, en réalité,
n'a jamais existé. Très souvent, cependant, les questions se révèlent stupides,
contradictoires ou absurdes. Cela peut relever d'une méthode pour déconcerter
l'interrogé et lui faire oublier sa défense (...). En fait, de nombreuses
personnes sont interpellées sans avoir aucun lien avec ce qui intéresse la
police secrète, parfois pour être allées chez quelqu'un qui a été arrêté, ou
pour s'être trouvées quelque part sans avoir leurs papiers sur elles, ou encore
pour être descendues d'un bus derrière une femme qui appartenait à la police
militaire... À partir de là commence un interrogatoire absurde qui n'a aucun
but et que les bourreaux peuvent consacrer à demander à la victime de raconter
des histoires drôles, sanctionnant les mauvaises blagues par une décharge électrique [45] ".
Trois semaines après le coup d'État se produit
l'un des épisodes les plus sanglants de la dictature. Du 30 septembre au 22
octobre, la "Caravane de la mort" dirigée par le général Arellano
parcourt le pays en hélicoptère du sud au nord et massacre 77 personnes. Elle
s'arrête dans six villes. À chaque fois, le scénario est identique. Le général
Arellano, nommé "officier délégué du président de la junte de
gouvernement" par Pinochet, débarque à la tête de son commando, visite les
cellules où sont détenus les opposants, les sélectionne et les emporte, avant
de les exécuter. Beaucoup de militants de l'Unité populaire s'étaient livrés
d'eux-mêmes, en espérant pouvoir bénéficier de la Convention de Genève, qui
interdit d'exécuter les prisonniers de guerre [46] .
Pendant les années 1980, l'ambassadeur des
États-Unis à Buenos Aires, Terence Todman, fait circuler le bon mot suivant :
"Savez-vous pourquoi il n'y a pas de coup d'État aux États-Unis ? Parce
qu'il
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