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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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proférer le moindre son, tel un poisson cherchant
désespérément de l’air. C’était comme si l’on rayait d’un trait de plume
désinvolte tout ce qu’il avait déjà accompli. Comme si également on jetait à la
poubelle le sacro-saint plan de mobilisation de l’armée. On lui assenait un
véritable coup de poignard. Moltke finit par laisser échapper une plainte
désespérée :
    — C’est impossible, Majesté ! Toute l’armée serait
plongée dans une confusion effroyable. Nous perdrions toute chance de gagner la
guerre [277]  !
    Un retour en arrière était à ses yeux impossible. Déjà,
avant même toute déclaration de guerre à la France, les avant-postes de la XVI e  division
stationnée à Trèves étaient en train de pénétrer subrepticement en territoire
luxembourgeois.
    Vexé, le Kaiser se rembrunit :
    — Votre oncle m’aurait donné une autre réponse [278]  !
    Et d’ordonner à un de ses aides de camp de transmettre sa
décision sur-le-champ, par téléphone, au quartier général de la division
concernée.
    Figé dans un garde-à-vous pathétique, Moltke frisait
l’apoplexie. Des larmes commençaient à couler de ses joues marbrées :
    — Si je ne suis pas autorisé à marcher contre la
France, je ne puis assumer la responsabilité de la guerre [279]  !
    Bethmann-Hollweg fut un instant tenté de venir à sa
rescousse. Il était au fond de lui-même scandalisé. Tout retour en arrière
était, en effet, impossible. Le Kaiser les prenait-il pour des
girouettes ? Mais il préféra aller joyeusement dans le sens de
l’empereur :
    — Ainsi donc, je ne me suis pas trompé sur le compte
des Anglais !
    Le Kaiser consentit néanmoins à expédier un message, rédigé
par les bons soins de Bethmann et de Jagow, à son cousin Georgie :
    « Si l’Angleterre garantit la neutralité de la France,
je renonce à toute action contre ce pays avant le 3 août, à sept
heures du soir [280] . »
    En contrepartie, Guillaume obtint de l’infortuné Moltke
qu’il téléphone personnellement à l’état-major afin de stopper la progression
de la XVI e  division en Luxembourg. On frisait la catastrophe.
Déjà la moitié d’une compagnie allemande avait franchi la frontière du
Luxembourg et détruit tout le matériel de communication téléphonique et
télégraphique à la gare des Trois Vierges. On parvint néanmoins à l’arrêter et
à la faire revenir de justesse dans les limites du Vaterland . Il n’était
que temps !
    Dans le bureau du Kaiser, la pendule marquait
19 h 30. À bout de nerfs, Moltke s’était effondré dans un fauteuil.
Il ne se remettrait jamais de ce choc.
Paris, 1 er  août, 11 h 00
    En ce premier samedi d’août, la Ville lumière paraissait
somnoler. Dans les rues, les gens déambulaient calmement, comme si de rien
n’était. Sur les boulevards, seuls les observateurs attentifs remarquaient que
les calèches redevenaient plus nombreuses que les automobiles. Au moment où
l’Histoire s’emballait dans les chancelleries, l’activité quotidienne semblait
se dérouler au ralenti d’une manière un peu irréelle.
    Wilhelm von Schoen n’avait pas un grand chemin à
parcourir entre sa résidence de la rue de Lille et le ministère des Affaires
étrangères. Il n’avait qu’à contourner le boulevard Saint-Germain par les
quais. Il n’était attendu qu’à treize heures au Quai d’Orsay pour venir
chercher la réponse à la question qu’il avait posée la veille. Mais l’anxiété
avait été trop forte. Il n’avait pu patienter davantage.
     
    Où était donc passé le Schoen que les diplomates français
avaient coutume d’apprécier ? Depuis quatre ans et demi, cet homme rusé
mais de commerce agréable était tout de même parvenu à rapprocher la France de
l’Allemagne. Cela n’avait guère été facile. Au début, les Français étaient
méfiants. Schoen se rappelait encore l’apostrophe mi-figue mi-raisin
de Louis Barthou au moment de son arrivée à Paris :
« Rendez-nous l’Alsace-Lorraine et alors nous serons les meilleurs amis de
la terre. »
    À cette époque également, Schoen câblait à
Bethmann-Hollweg : « La France n’est importante ni militairement, ni
autrement [281] . »
    Peu à peu, l’ambassadeur avait réussi à rompre l’isolement
dans lequel les diplomates allemands à Paris étaient tenus confinés. En février
dernier, il avait organisé une fête à sa résidence et invité le

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