1914 - Une guerre par accident
ventes d’armes. Peu après, il devint
propriétaire du journal L’Excelsior et créa une maison de retraite pour
les marins. Poincaré l’avait assuré à Briand, à qui le marchand d’armes avait
été personnellement présenté :
— De tels services, sans compter surtout tous ceux
qu’il peut nous rendre à l’avenir, valent bien la rosette !
En Angleterre, lord Haldane et surtout Lloyd George
eussent volontiers partagé l’opinion de Poincaré si on les avait interrogés.
Cettinie, 1 er août, 15 h 30
La capitale du Monténégro n’était qu’un gros bourg paysan
dont la plupart des rues étaient encore en terre battue. Elle n’en bruissait
pas moins de joutes politiques enflammées dont l’épicentre était le Parlement.
Fidèle reflet de l’opinion publique monténégrine, les
députés locaux étaient majoritairement favorables aux frères slaves de Serbie.
Le roi Nicolas, lui, était beaucoup plus partagé. Il supputait encore les
avantages et inconvénients respectifs d’un engagement déclaré.
Le roi Nicolas se méfiait des Serbes qui avaient des visées
sur son petit territoire montagneux. D’un autre côté, il pouvait difficilement
se passer du soutien financier des Russes qui lui servait à assurer ses fins de
mois et, notamment, à payer les soldes de son armée. L’Autriche, enfin, lui
était toujours apparue tentante. Au tout début juillet, il s’était efforcé
d’empêcher des manifestations antiautrichiennes à Cettinie.
Sentant le vent tourner, Nicolas avait adressé des messages
d’encouragement à ses filles, les tempétueuses princesses Anastasia et Militza,
à Saint-Pétersbourg. Il n’avait pas manqué d’envoyer un télégramme à son
gendre, le prince régent Alexandre de Serbie : « Doux sont les sacrifices
que l’on consent à la vérité et à l’indépendance de la nation. Que vive
longtemps mon cher petit-fils [286] ! »
Ce jour-là le Parlement monténégrin, contre les avis répétés
du souverain, vota solennellement une motion de soutien à la Serbie. Le roi
Nicolas affecta d’en être bouleversé. À plusieurs diplomates étrangers, il
s’écria au cours de l’après-midi :
— Dieu m’est témoin que je n’ai jamais voulu cette
guerre [287] !
Londres, 1 er août, 16 h 45
Chef du gouvernement britannique depuis six ans déjà,
Asquith n’était pas ce qu’on appelle un homme heureux. Doté d’une majorité
parlementaire des plus fragiles, il n’était même pas populaire, à supposer
d’ailleurs qu’aucun Premier ministre de Sa Majesté l’eût jamais été.
Les gens ignoraient le plus souvent son prénom et disaient en
parlant de lui « Asquith », tout court. Dans sa jeunesse, ses parents
l’appelaient Henry. Sa seconde épouse Margot préférait, elle, le prénommer
Herbert. On avait fini par le désigner sous les initiales de « H. H. ».
Des mal embouchés lui donnaient parfois du « squiffy »
(poivrot) compte tenu d’une certaine inclination pour les malts écossais.
D’autres, tout aussi malveillants, faisaient des gorges chaudes de la liaison
qu’Asquith entretenait avec la belle Venetia Stanley que songeait alors à
épouser son sous-secrétaire d’État pour l’Inde, Edwin Montagu. On prétendait
qu’il lui écrivait des lettres enflammées même pendant les réunions de
cabinet !
On ne faisait aucun cadeau à la famille Asquith qu’on ne
supportait pas de voir installée à Downing Street et qui avait même
l’outrecuidance de ne pas s’en excuser. De Margot, on disait qu’elle avait
l’air d’une pie qui vient de voler l’argenterie d’un duc. Les plus snobs se
récrieraient quand Asquith, élevé à la pairie, envisagerait de prendre
l’appellation de lord Oxford. Un peu comme si une bicoque de banlieue
avait la prétention de s’appeler « Versailles [288] »…
H. H. Asquith aurait dû s’en douter. Tout avait assez
mal commencé lorsqu’il avait succédé comme Premier ministre à un Henry
Campbell-Bannerman mourant. C’était en avril 1908 et le roi
Édouard VII, qui se prélassait à Biarritz, avait refusé de revenir à
Londres à seule fin d’y recueillir le baisement de main de son éminent sujet.
Les raisons de santé invoquées par le souverain n’avaient pas convaincu grand monde.
Asquith avait dû se déplacer au Pays basque. C’était la première fois qu’un
chef de gouvernement britannique prenait ses fonctions en terre étrangère.
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