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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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dans son pays un état d’esprit détestable, ouvert à toutes les
aventures.
    — L’empereur Guillaume ? Je ne peux croire qu’il
veuille la guerre. Si vous le connaissiez comme moi ! Si vous saviez tout
ce qu’il y a de charlatanisme dans ses attitudes [115]  !
     
    Poincaré ne tenait pas à jouer les fâcheux obsédés par
l’Allemagne. Il s’interdit de relater au tsar Nicolas la conversation qu’avait
eue avec le Kaiser, en novembre de l’année précédente, le roi des Belges Albert I er en visite à Potsdam. Une conversation inquiétante que le baron Beyens, ministre
de Belgique à Berlin, avait rapportée peu après à l’ambassadeur de France Jules
Cambon. Le Kaiser y avait exprimé le fond de sa pensée :
    — Une guerre avec la France est inévitable et
prochaine. Paris a une attitude décidément irréconciliable. Quant à l’esprit de
revanche du peuple français, il est de plus en plus agressif depuis qu’a été
voté le service militaire de trois ans [116] .
    Le majordome resservit du café. Tirant quelques bouffées de
sa cigarette parfumée au thé, le tsar conclut :
    — L’Angleterre, monsieur le Président, l’Angleterre. Il
faut pouvoir compter sur elle. À moins d’avoir perdu complètement la raison,
l’Allemagne n’osera jamais attaquer la Russie, la France et l’Angleterre
réunies [117] .
    Poincaré hocha la tête avec gravité. À l’autre bout du parc,
on apercevait le long canal bordé de fontaines en marbre rose qui donnait, par
une multitude de terrasses fleuries, sur une immense pièce d’eau. Ce n’était
pas pour rien qu’on appelait Peterhof le « Versailles russe ».
    Au dîner du palais d’Hiver, le protocole régnait en maître.
Avant de passer à table, l’hôte français se fit présenter un à un les membres
du corps diplomatique en commençant par le doyen, le comte de Pourtalès,
ambassadeur d’Allemagne. Un patronyme fort peu germanique, au demeurant.
Sourire affable de Poincaré :
    — On m’a tant vanté les origines françaises de votre
famille, monsieur l’ambassadeur.
    Le sourire s’atténua au moment de la présentation de sir George
Buchanan, l’ambassadeur anglais. On avait chuchoté à Poincaré qu’il n’avait pas
un amour immodéré de la France. Il abhorrait surtout Paléologue qu’il traitait
en privé de véritable « calamité ».
    Le sourire disparut pour de bon lorsque le président de la
République se planta face à l’ambassadeur d’Autriche-Hongrie, le comte Frigyes
Szapary de Muraszombath. Un pur produit de l’aristocratie hongroise… comme feu
l’archiduc François-Ferdinand aimait tant à la détester.
    Absent de Saint-Pétersbourg depuis plusieurs semaines,
Szapary était revenu tout spécialement pour la réception du président français.
Il y avait comme de l’affrontement dans l’air. Et il n’était pas dans les
habitudes de Poincaré de se dérober :
    — Quelles nouvelles de Serbie, monsieur
l’ambassadeur ?
    Szapary resta de glace :
    — L’enquête suit son cours…
    — Espérons qu’elle débouchera sur du concret. Les deux
dernières enquêtes que vous aviez conduites dans ce pays n’avaient pas été
fameuses, m’a-t-on dit… l’affaire Friedjung et l’affaire Prochaska, n’est-ce
pas ?
    L’ambassadeur se raidit encore davantage. On eût dit qu’il
était prêt à tirer son sabre de gentilhomme magyar de son fourreau :
    — Nous ne pouvons tolérer, monsieur le Président, qu’un
gouvernement étranger laisse préparer, sur son territoire, des attentats contre
notre souveraineté !
    — Fort bien, fort bien. Mais n’oubliez pas, je vous
prie : la Serbie a des amis très chauds dans le peuple russe. Et la Russie
a une alliée, la France. Que de complications à craindre si l’affaire serbe
venait à s’envenimer [118] …
    La passe d’armes était terminée. Le comte Szapary rédigerait
vraisemblablement pour Vienne un rapport substantiel relatant l’incident. Ce ne
serait pas le cas des autres ambassadeurs qui n’avaient eu droit qu’à une
simple poignée de main présidentielle.
    Le dîner fut insipide comme souvent, lors de réceptions
officielles. Autour de la table somptueuse où scintillaient les cristaux
de Bohême et l’argenterie, l’atmosphère était pesante. Poincaré fut peu
loquace, à son habitude. Même son habit de gala paraissait sinistre, comparé
aux uniformes de ses hôtes russes, éclatants et constellés de

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