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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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décorations.
Vibrionnant, Viviani suscitait l’intérêt amusé de ses voisins de table.
    Il en fallait bien plus pour distraire l’ambassadeur
Paléologue. En professionnel consciencieux, celui-ci grappillait toutes les
informations qu’il pouvait glaner. Il ne perdait pas des yeux la tsarine
Alexandra Feodorovna qui était assise juste en face de lui. Elle avait
apparemment la tête ailleurs et prisait fort peu ces cérémonies interminables.
Au regard fixe et à la respiration haletante de cette femme encore jeune, le
diplomate français présuma qu’elle était en proie à une de ces crises
d’angoisse dont on prétendait qu’elle était coutumière.
    L’impératrice ne parut se détendre qu’au moment des toasts,
une épreuve dans laquelle le chef de l’État français excellait. Tranchante et
volontariste, l’éloquence de Poincaré fit une fois encore merveille.
    Assis à la gauche de Maurice Paléologue, le comte Frederiks
semblait apprécier en connaisseur :
    — Voilà comment devrait parler un autocrate [119] …
    À se fier à leur volubilité exubérante, c’était également
l’opinion des deux grandes-duchesses monténégrines, Militza et Anastasia. Au sortir
de table, elles assaillirent d’enthousiasme l’ambassadeur de France :
    — Un jour historique, sacré même ! Savez-vous que
demain, à la revue, les musiques ne joueront que la Marche lorraine et Sambre-et-Meuse [120]  ?
    Paléologue aurait pu volontiers en convenir si les
incorrigibles Monténégrines lui avaient laissé une chance de placer un mot.
Mais déjà Anastasia poursuivait sur le ton de la confidence :
    — Mon père m’a envoyé un télégramme hier, codé bien
sûr. Il me dit que nous aurons bientôt la guerre. Vous y croyez ? En tout
cas, il ne restera plus rien de l’Autriche… Vous reprendrez l’Alsace et la
Lorraine… Nos armées se rejoindront à Berlin [121]  !
    La grande-duchesse baissa les yeux comme si elle prenait
soudain conscience d’être prise en faute :
    — Mais il faut que je me modère, n’est-ce pas, car
l’empereur me regarde. Il n’aime pas m’entendre parler ainsi [122] …
    Poincaré, lui, ne desserra plus les dents de la soirée. Sur
le chemin du retour, il glissa à son ami Paléologue :
    — J’ai une mauvaise impression de mon échange avec
Szapary.
    — Il n’est en poste à Saint-Pétersbourg que depuis huit
mois et il passe déjà pour un arrogant de la pire espèce.
    — Non, ce n’est pas son comportement qui m’inquiète. Il
avait sûrement la consigne de se taire. L’Autriche ne serait-elle pas en train
de nous réserver une surprise [123]  ?
Belgrade, 23 juillet, 18 h 00
    Le baron Giesl pensait que c’était son jour de gloire et il
n’avait pas tort. Depuis la veille où il avait reçu de Vienne, par porteur
spécial, le texte de l’ultimatum autrichien, il avait conscience de détenir de
la dynamite. Et celle-ci ne demandait qu’à exploser.
    Ce très long texte qui émanait du Ballplatz, il l’avait
épluché deux fois, trois fois, dix fois. Avec cette même impression
d’effarement à chacune des lectures. Giesl ne pouvait savoir qu’à Vienne,
l’empereur François-Joseph lui-même avait éprouvé un semblable sentiment. Au vu
de l’ultimatum, le vieux souverain avait confié à Leo von Bilinski :
    — La Russie ne pourra jamais accepter cela. Il ne faut
pas se faire des illusions, cela va donner une grande guerre [124]  !
    Des illusions, personne ne pouvait raisonnablement en
nourrir au vu de cette note prétendument diplomatique que le jeune et bouillant
baron Giesl avait reçu pour mission de délivrer. Il s’agissait d’une déclinaison
de conditions d’une sévérité surprenante. Le ton en était dur, intransigeant,
parfois même insultant. Comme si Vienne n’avait voulu laisser aucune chance,
aucune porte de sortie honorable à Belgrade. Comme si l’on cherchait à toute
force un prétexte pour déclencher les hostilités.
    L’ultimatum était unique en son genre. Ce que
l’Autriche-Hongrie exigeait instamment de la Serbie ? Pour commencer, une
déclaration solennelle du roi Pierre I er dénonçant l’agitation
panserbe. Une déclaration destinée à être publiée aussitôt dans le quotidien Staatsanzeiger afin que l’humiliation prenne une tournure publique. Il s’ensuivait dix
revendications d’une sécheresse menaçante comprenant notamment l’engagement
serbe de ne plus soutenir d’aucune façon les

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