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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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n’apportera rien de bon, ni pour la France,
ni pour la paix. Poincaré a des œillères. Il ne comprend pas le jeu de cette
Russie despotique dont il recherche l’alliance.
    Au moment de prendre congé, Marius Moutet avait étalé sur le
bureau de son hôte l’édition de l’ Écho de Paris datée de l’avant-veille.
    — Ah ! Ce fameux papier de Maurice de Waleffre. On
m’en a parlé mais je ne l’ai pas encore lu. Je me demande d’ailleurs si c’est
vraiment utile…
    — C’est tout de même inquiétant, Jaurès. Si vous ne
vous en souciez pas, vos amis, eux, commencent à s’en alarmer. Écoutez plutôt
ce qui est écrit :
    « Dites-moi, à la veille d’une guerre, le général qui
commanderait à quatre hommes et un caporal de coller au mur le citoyen Jaurès
et de lui mettre à bout portant le plomb qui lui manque dans la cervelle,
pensez-vous que ce général n’aurait pas fait son plus élémentaire devoir ?
Si et je l’y aiderai ! »
    — Oh, vous savez mon cher ami, Waleffre n’est ni le
premier ni probablement le dernier. D’ailleurs, il écrit comme un cochon. Ce
qui n’est pas très flatteur pour moi.
    — Maurras et Daudet ne sont pas tendres non plus avec
vous. Et eux, ils savent écrire… Quant à Péguy, ses dernières paroles sont un
véritable appel au meurtre.
    — Ah, Péguy…
     
    Comme par lassitude, le chef socialiste leva les bras au
ciel :
    — Que voulez-vous ? Depuis les haines de l’affaire
Dreyfus, ce sont les aléas du débat politique. Chacun prend ses
responsabilités, j’ai pris les miennes.
    Il ne restait à Jean Jaurès qu’une douzaine de jours à
vivre.
    Albert Ballin reprit le chemin de Londres au motif d’y
conclure un contrat pétrolier. Il n’en laissait rien paraître, à son habitude,
mais son moral n’était pas au beau fixe. Admirablement informé comme toujours,
il venait de faire ajourner le départ de Cuxhaven de plusieurs navires de la
Hapag. Ce n’était pas bon signe. On l’ignorait encore mais il avait également
fait ordonner à d’autres unités de sa compagnie de rallier sans délai les ports
allemands.
    *
    Ce jour-là se déclarèrent les premières tensions boursières.
À Vienne, comme à Berlin ou à Paris, les valeurs mobilières habituellement
prisées des opérateurs commencèrent à être attaquées. Les valeurs refuges se
raréfièrent. Les mouvements de capitaux devinrent erratiques et incompréhensibles
même aux financiers les plus aguerris. À Londres, le Times fit état de
fortes demandes de lingots d’or.

IV
L’ombre du grand chancelier
    La plus sûre façon de tromper les gens en diplomatie est
encore de leur dire la vérité car ils n’y croient jamais.
    Otto von Bismarck
Saint-Pétersbourg, 21 juillet, 20 h 45
    Au palais d’Hiver, illuminé a giorno pour la
circonstance, c’était l’apparat des grands jours. La cour impériale avait mis
les petits plats dans les grands pour ce dîner officiel offert par le tsar Nicolas II
en l’honneur du président Raymond Poincaré.
    La journée avait été consacrée à la visite de la forteresse
des Saints-Pierre-et-Paul qui était à la fois la Bastille et le Saint-Denis des
Romanov. Le clin d’œil de l’autocratie à la république. Le ministre Sazonov
avait poussé encore plus loin l’espièglerie auprès de l’ambassadeur
Paléologue :
    — Les cosaques de la garde ont été réquisitionnés pour
escorter le président. Vous verrez, ce sont des gaillards superbes, terribles.
Ils sont habillés de rouge. Je crois savoir que M. Viviani ne déteste pas
cette couleur [113] …
    Viviani le socialiste, Viviani le rouge. Paléologue avait
répliqué à l’allusion avec cette élégance badine qui lui était propre :
    — Non, il ne la déteste pas. Mais son œil d’artiste
n’en jouit vraiment que si elle est associée au blanc et au bleu [114] .
    Poincaré n’était pourtant pas en visite d’agrément et cela
se sentait. Le matin même, il avait eu un premier entretien politique
approfondi avec Nicolas II à Peterhof. Le tsar semblait tourmenté par la
relation avec l’Angleterre :
    — Je n’ai jamais pu vraiment en parler avec mon cousin,
feu le roi Édouard. Pourtant il faut que nous puissions entraîner l’Angleterre
dans notre alliance. Ce serait un tel gage de paix !
    — Je partage votre opinion, sire. La Triple-Entente ne
saurait être trop vigoureuse. Mais le danger aujourd’hui, c’est l’Allemagne. Le
Kaiser a créé

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