1914 - Une guerre par accident
Français et Russes afin de conserver l’initiative diplomatique
puis de mettre chacun devant le fait accompli.
Jagow fit télégraphier à Vienne que Poincaré ne repartirait
pas dans l’après-midi du 23 juillet mais seulement en fin de soirée. Il
fut donc ordonné à Giesl, à Belgrade, de ne remettre l’ultimatum autrichien aux
Serbes qu’après dix-sept heures ce jour-là.
À dix-huit heures sonnantes, le baron Giesl ne crut pas
devoir bouder plus longtemps son plaisir et prit le chemin de la primature,
toute proche. Le maître des lieux Nikola Pasic était absent. On dirigea Giesl
vers le ministre des Finances serbe qui assurait l’intérim. Avec toute
l’arrogance et le mépris dont il était capable, il débita mécaniquement la
courte déclaration apprise par cœur :
— … et n’oubliez pas, vous n’avez que
quarante-huit heures pour apporter une réponse à l’Empire d’Autriche-Hongrie.
Visiblement interloqué, le ministre serbe balbutia un
commencement d’objection :
— Quarante-huit heures ? Il sera pratiquement
impossible de réunir le Conseil des ministres au complet. Nous sommes en pleine
campagne électorale.
Giesl se contenta de hausser les épaules :
— On prétend que votre pays est doté du chemin de fer,
du télégraphe et du téléphone. Cela ne devrait donc pas être insurmontable [126] .
L’Autrichien tendit le texte de l’ultimatum mais le ministre
serbe, pris soudain de panique, eut un mouvement de recul. Giesl n’en fut guère
ému :
— Si vous ne voulez pas accuser réception de ce
document, je le laisserai sur votre bureau. Vous en ferez ensuite ce que bon
vous semblera [127] .
À la suite de quoi Giesl tourna les talons et, sans un
regard pour le Serbe, prit congé. Peu après, il quitterait Belgrade et demeurerait
introuvable pendant près de deux jours. Telles étaient ses instructions.
Content de lui, le baron Vladimir von Giesl était un
instinctif à courte vue. Le sentiment du devoir accompli et la satisfaction de
sa vanité personnelle étaient ses seules lignes d’horizon. Il ne pouvait
imaginer que sa prestation à la primature serbe venait de donner à la crise
européenne une inflexion dramatique.
Nish, 23 juillet, 21 h 40
Le chef de gare était en plein émoi. Il lui revenait
d’escorter le président du Conseil Pasic jusqu’à son wagon particulier, comme
c’était l’usage. Non sans mal, il avait tout organisé en conséquence. C’était
un événement pour cette obscure gare de province, éloignée de plus de deux
cents kilomètres de Belgrade. Mais voilà, ses plans étaient contrariés. De la
capitale, on appelait d’urgence au téléphone le chef du gouvernement serbe.
Pasic fronça les sourcils. Ses plans à lui aussi se
trouvaient chamboulés et il n’appréciait pas. Il fut très sec au
téléphone :
— Ne me dérangez donc pas avec ça. Je le réglerai dès
mon retour.
Puis il s’engouffra dans son compartiment réservé, entouré
de ses compagnons. Direction : Salonique. C’était son idée initiale :
— Un peu de repos ne nous fera pas de mal. Que
diriez-vous de passer incognito deux ou trois jours au bord de la mer [128] ?
Pasic estimait que lui et les siens méritaient un répit. La
campagne électorale à travers le pays s’avérait exténuante. C’était une
véritable bataille au couteau et la dynastie des Karageorgevic se trouvait
directement menacée. Le roi Pierre venait juste de quitter le pouvoir, laissant
le prince héritier Alexandre assurer la régence. Mais pour combien de
temps ? Avec la crise en Bosnie, les extrémistes de tout poil relevaient
la tête. Les fous ! Croyaient-ils vraiment pouvoir en imposer aux
Autrichiens ?
L’opinion publique était versatile. Quelques mois
auparavant, elle avait plébiscité Pasic pour son action au moment de la crise
balkanique. Maître d’œuvre de la Ligue des Balkans, il avait habilement
manœuvré l’année précédente pour que Belgrade puisse annexer les territoires de
la Vieille Serbie comme le Kosovo, la Macédoine ou la Métochie. Aujourd’hui
pourtant, il était pris sous le feu de violentes critiques. Les plus radicaux
lui reprochaient rudement son indécision et même sa mollesse.
En vieux connaisseur de la politique, Nikola Pasic ne
bronchait pas. Toute cette agitation finirait bien par s’apaiser. Ah, si
seulement il n’y avait pas une nouvelle crise en Bosnie ! En route vers
Salonique, il se dit qu’il
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